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Géorgie : tomber amoureux sur un coup de tête

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Style de vie

Le Caucase est rempli de traditions plus originales les unes que les autres. L’une d’elles veut que le jeune amoureux enlève l’élue de son cœur. Sa détention est censée lui permettre d’envisager sereinement un mariage avec son kidnappeur. La Géorgie n’échappe pas à la règle. 

« Dans ma vie, j’ai participé à une quinzaine d’enlèvements, affirme entre deux verres de vin kakhétien Guiorgui, un Géorgien d’une cinquantaine d’années. En plus de ma femme, j’en ai kidnappé pour des amis. Généralement, ça ne se passait pas trop mal. On met la femme dans le coffre et on démarre en trombe. Parfois seulement, nous sommes obligés de l’assommer à moitié. » Kidnapper l’élue de votre cœur est une tradition ancestrale dans les régions reculées du Caucase. Avec l’aide d’amis, les jeunes caucasiens enlèvent une femme et la séquestrent ensuite durant une période qui, généralement, n’excède pas trois ou quatre jours. Au bout de ce laps de temps, l’homme demande à la femme si elle veut bien l’épouser, ou pas. En cas de réponse négative, elle est habituellement rendue à sa famille dans les plus brefs délais.

L'amour c'est d'abord un grand coup sur la tête

« J’ai été kidnappée durant quatre ou cinq jours voilà une vingtaine d’années, témoigne Elena, une magnifique femme d’une quarantaine d’années. Je rentrais de l’université. Une fois devant chez moi, on m’a frappée sur la tête. Ils m’ont jetée sur la banquette arrière. Quand j’ai repris conscience, je me suis rendue compte que l’homme qui me kidnappait était un garçon de mon école que je ne supportais pas. Il m’a amenée dans sa famille à la campagne. Il m’a dit que je ne pouvais pas partir, que j’avais besoin de quelques jours pour réfléchir au mariage. Outre le gros coup sur la tête, il ne m’a pas touchée. »

« Ma famille me cherchait, continue Elena. Finalement, elle a appelé la police, qui m’a retrouvée. Je n’ai pas porté plainte, je ne voulais pas qu’il aille en prison. Il ne m’a plus jamais ennuyée. Le deuxième homme qui m’a kidnappée l’a fait sans violence. Je l’ai épousé et je lui ai fait une fille. »

4 mariages, beaucoup d'enlèvements

L’origine de cette pratique peu commune reste assez floue. Certains invoquent l’épisode biblique du rapt des filles de Silo. Dès lors, comment expliquer que les populations musulmanes du Caucase et d’Asie centrale enlèvent également l’élue de leur cœur ? Une autre théorie accuse le puritanisme propre aux populations montagnardes du Caucase. Les femmes étaient très surveillées, elles disposaient de peu d’occasions pour batifoler auprès d’une gente masculine en mal d’amour. En Géorgie, chaque jeune fille avait un « patroni », un homme de la famille chargé de surveiller ses faits et gestes. Le soupirant désespéré n’avait alors plus qu’une seule solution : le kidnapping. « C’est probablement à cause des patroni que cette pratique a commencé, affirme Guiorgui, notre sérial-kidnappeur. Ensuite, on y a pris goût. »

Par malheur, la mondialisation touche aussi le Caucase. D’antiques traditions disparaissent, diluées dans la purée aseptisée des nouvelles valeurs mondiales. Frapper une femme avec une massue n’est plus considéré comme une preuve d’amour. L’enfermer dans un coffre non plus. La police géorgienne veille au grain. Récemment devenue insensible à la corruption, elle a pour mission d’empêcher les kidnappings amoureux. Quitte à vous enlever et vous retenir à l’ombre quelques années.

PS : Malgré toute ma bonne volonté, je n’ai pas pu participer moi-même à un enlèvement. Même ma nationalité belge, pourtant gage d’expérience dans le domaine, ne m’a été d’aucun secours. Il faut dire que les kidnappings s’organisent dans le plus grand secret, par peur de la police. Au cas où une opportunité se présenterait à moi, je vous ferai évidemment part de mes impressions (et de celles de la femme kidnappée).

Cet article a été préalablement publiée sur le blog de l'auteur