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Georges Marion : « Si vous restez en France vous croyez être au centre du monde »

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Georges Marion, 64 ans, est un journaliste français. Longtemps correspondant à l’étranger du quotidien Le Monde, il évoque la subjectivité et la relativité du métier, insistant sur l’importance d’une Europe identitaire

Georges Marion est arrivé avec un retard des plus planifiés. Lieu de rendez-vous : Sarah Wiener, un café bondé proche d'Unter den Linden, la grande allée historique de Berlin-Est, aujourd'hui épicentre politique du Berlin réunifié.

Ancien correspondant du quotidien français Le Monde à Alger, en Afrique Australe, en Israël puis en Allemagne, Marion est un vieil habitué des interviews. Combien en a t-il déjà réalisé en tant que journaliste ? Des centaines sans doute, des milliers peut-être. A ses yeux, un entretien réussi est celui qui garde un sens longtemps après sa réalisation et sa publication.

A contrario, une interview ratée serait celle qui n’apporte aucun élèment nouveau. Et mon invité d’illustrer aussitôt son propos avec le souvenir d’une rencontre avec l’ancien Président français, François Mitterrand : « venu le voir pour nourrir un livre que j’écrivais, il m’a surtout engueulé pour des articles que nous avions publiés dans 'Le Monde' sur les Irlandais de Vincennes et l’affaire du Rainbow Warrior. »

Marion le scandaleux

Il faut dire que Marion n’est guère adepte de la brosse à reluire. En 1976, il fait ses premiers pas dans la profession en participant au lancement du journal Rouge, principale publication du parti de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). C’est après plusieurs expériences de militant dans les sections ‘Jeunesse’ des partis politiques que cet amoureux des mots décide de se lancer dans le journalisme d’investigation, muni d’un diplôme de sociologie.

A l'époque, les écoles de journalisme étant peu prisées, les profils des futurs scribouillards sont très variés, allant du médecin à l'architecte. « Je n'étais pas vraiment doué pour la socio, » se souvient Marion. « En revanche, j'étais bon pour l'observation, la mise en perspective et la résolution d’une équation sociale donnée. Je crois que les bons journalistes sont ceux qui adoptent cette démarche. »

Marion entre d’abord au Canard enchaîné où il peaufine ses techniques d’enquêteur, en particulier sur la politique intérieure. Integré ensuite à la rédaction du Monde, ses travaux le conduisent à dénoncer l’attitude du gouvernement Mitterrand, flirtant parfois avec la légalité. Ses articles vont provoquer de nombreux scandales politico-judiciaires. « Ce ne sont pas les conséquences juridiques qui m'intéressent, » poursuit Marion, «  mais le rapport avec l'humain ».

Tout est d'abord question de mise en perspective. « Parce qu’il y a toujours une part de subjectivité dans notre travail », explique t-il encore. Pour Marion, le rôle du journaliste n’est pas de provoquer le changement politique ou institutionnel. Il s’agit plutôt de sensibiliser l'opinion. Pour autant, il reconnaît que les articles du Monde publiés sur les écoutes téléphoniques de l’Elysée ont contribué à faire évoluer dans le bon sens la législation.

De l’importance d’avoir du recul

Longtemps correspondant aux quatre coins du monde, Marion évoque le recul salvateur qu'apporte une vision extérieure sur la société française. Profondèment Français, pétri de la culture, de l’histoire et des symboles nationaux, il reste choqué par la vision de la France que caressent nos voisins européens.

« Si l’on ne sort pas de l’Hexagone, comment savoir que beaucoup d'Allemands parlent avec beaucoup d’ironie de ‘la grande nation’ ?, » souligne t-il. « Ces expériences nous enseignent une certaine relativité. Si vous restez en France, vous croyez être au centre du monde ».

Arrivé à Berlin en 2001, Marion parle couramment allemand, avec toujours un grand souci de justesse grammaticale. « Si vous ne parlez pas la langue, il y a toujours une réalité qui vous échappe. Pour rendre compte, il faut savoir interpréter la réalité de la culture du pays, les jeux de mots, les scandales, les programmes de télévision, les fantasmes... ».

Il regrette néanmoins que les missions de correspondant à l'étranger soient limitées dans le temps. « Les rédactions pensent que si vous en savez beaucoup, vous n'êtes plus en mesure de regarder les choses avec un oeil nouveau ».

Gare à la droite

Grand voyageur, citoyen engagé et attentif, il se dit très « européen » mais ne cache pas ses doutes. Pour lui, il y a tous les jours une nouvelle raison de se réjouir du projet européen et tous les jours un motif de s’indigner. Si Marion salue l'action communes des pays européens pour porter secours à la Grèce, ravagée cet été par les incendies, il a à coeur de dénoncer les subventions bientôt que Bruxelles pourrait accorder à Radio Maryja, une radio catholique polonaise, taxée d’extrêmisme et d’antisémitisme.

Très attentif aux phénomènes de résurgences d'idéologies d'extrême droite, mon interlocuteur se dit persuadé que la construction progressive d'une identité européenne est fondamentale pour contrer ces évolutions. « La polémique soulevée à l’échelle européenne lors de l'ascension de Jorg Haider a été un choc important pour l'opinion publique autrichienne, influençant probablement leurs votes par la suite ».

Marion dit avoir voté ‘oui’ au projet de Constitution européenne et se montre convaincu qu'une voie de traverse sera trouvée pour faire avancer le processus. « La politique a horreur du vide », dit-il. Pour lui, l'Europe n'est d’ailleurs pas seulement politique mais également historique et doit devenir identitaire. « De fait, nous observons sur le marché européen, une harmonisation des aspirations sociales et de leurs conséquences économiques. L’un des effets pervers de la hausse générale des salaires et des acquis sociaux se retrouve dans les délocalisations opérées en Chine ou en Inde. Le plus important reste l'évolution. Des acquis comme des droits ».

Edition P.A