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Génération quoi ? L'impossible définition d'une génération floue

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Story by

Lukas Ley

Translation by:

Emilie Dubos

Société

Auparavant « génération X », depuis peu « génération Y », toujours « génération stage ! » Quelles que soit l’expression employée, personne ne parvient réellement à nous saisir. Mais peut-on vraiment nous mettre tous dans un même sac ? C’est la question que se posent les auteurs allemands Manuel J. Hartung et Cosima Schmitt dans leur livre Die netten Jahre sind vorbei.

Schöner leben in der Dauerkrise (Fini les belles années. Mieux vivre avec une crise qui dure). Ils tentent ici d’analyser le difficile avenir d’une génération sans nom.

©Campus Verlag, 2010Tous ceux nés dans les années 1980 y appartiennent. Eux, ce sont les victimes de toutes les crises de ces dernières années : ils ont suivi l’effondrement des Twin Towers sur leur écran et n’ont pas trouvé de travail suite à la crise économique ; ils sont des martyrs du travail, d’éternels stagiaires, et triment encore des années après la fin de leurs études pour peu d’argent. Tous ceux qui, à l’heure actuelle, étudient ou débutent dans la vie active connaissent l’odeur de la crise. Mais nous ne faisons pas que subir. Dans Die netten Jahre sind vorbei. Schöner leben in der Dauerkrise, les statistiques sont compulsées et d’éminents chercheurs prennent la parole. On y apprend que la jeunesse réfléchit et que les étudiants ont une influence politique. Et pourtant, on ne se sent qu’à moitié compris par les auteurs.

Les jeunes Allemands qui s'apprêtent à entrer sur le marché du travail ou viennent de le faire sont passés au scanner tout au long des 196 pages. Le livre s'attache à comprendre les « enfants des classes moyennes », et pour cela à « dépasser la caricature » et dévoiler les « secrets » de notre groupe d’âge.

La génération, elle bouge

Maintes et maintes fois, on a déjà essayé de trouver un nom à la jeune génération. Régulièrement, c’est une avalanche de formules choc : GénérationFacebook, Génération X, Génération Stage, etc. Ceci montrerait que chaque formule et chaque événement éphémère poussent les médias à estampiller la génération. Mais s’il est possible de qualifier ainsi des périodes artistiques, cinématographiques ou littéraires limitées dans le temps, il n’en va pas de même pour les générations qui sont dynamiques, diffuses, et incontrôlables, ainsi que le soulignent les auteurs.

Un cas typique : celui de l’étudiant en licence. Il se trouve pris dans les filets des études rapides à modules qui épuisent non seulement les Allemands mais aussi les Italiens, qui ont dû changer radicalement leur système en raison des réformes de Bologne. Le marché du travail changeant extrêmement vite de nos jours, les étudiants se doivent de rester flexibles. On insère donc des stages dans les vacances inter-semestrielles. Le piège académique se referme rapidement sur ceux qui étudient comme autrefois : unilatéralement. Face à tant d’incertitudes, l’étudiant d’aujourd’hui tombe malade : burn-out à 22 ans. Les auteurs ne considèrent toutefois pas le fait qu’il existe aussi des étudiants qui se sont accoutumés à la nouvelle politique universitaire et se satisfont de sa sélectivité.

Des junkies de la vie étudiante

Un regard au-delà la frontière allemande montre de plus où grouillent souvent les étudiants allemands – dans les universités des pays voisins. L’européanisation des études a non seulement fait des étudiants des « junkies des points de crédit et de la vie étudiante », mais elle a aussi ajouté un nouveau facteur au choix des études : la rentabilité. Une ville doit « assurer » pour être choisie comme ville d’études. Souvent, les agglomérations des zones économiques, les réseaux sociaux ou simplement le prix des loyers font pencher la balance pour ou contre une ville. Ou on aime l’image que renvoie la ville. Pour beaucoup, étudier à l’étranger ne devient envisageable que lorsque les frais de scolarité sont supprimés, comme en France. Malheureusement, les auteurs se cantonnent à l’Allemagne, bien que la mobilité lors des études et les conditions de vie précaires des jeunes actifs soient depuis longtemps un problème d’envergure européenne.

Nommer une génération est-elle un concept pertinent ?

Citoyens du monde ou opportunistes ?

Die netten Jahre sind vorbei souligne aussi l’intérêt croissant des jeunes Allemands pour la politique et la démocratie ainsi que le succès des ONG. Pourtant, cette observation suffit-elle à conclure que « nous nous sommes transformés en citoyens plus émancipés » ? Le lecteur, désormais habitué au style (1ère forme du pluriel « nous »), oublie aussitôt la chute de la participation en Allemagne et l’enthousiasme de ses citoyens pour une grille de programmes TV dépolitisée et s’attache à croire le sociologue Klaus Hurrelmann que le politique va reprendre de l’importance.

Au lieu d’accorder de la crédibilité aux programmes diffus des partis et aux brillants politiciens pragmatiques du parlement, la jeunesse actuelle s’engage dans les ONG pour être aux commandes de l’évolution du monde. Antithèse : les ONG sont aujourd’hui fréquemment désignées comme quatrième secteur économique – et représentent surtout une perspective professionnelle. Une autre conclusion erronée s’ensuit : le grand succès des labels bio dans notre pays montrerait que la jeune génération s’exprime de plus en plus sur ses habitudes de consommation. Ceci signifierait que les étudiants français sont moins politisés que les allemands, car ils consomment nettement moins de produits bio que leurs voisins. Or, une des raisons du refus des produits bio dans les grandes villes françaises et bien davantage l’énorme différence de prix entre alimentation conventionnelle et écologique.

Statistiques et conclusions hâtives

Pour finir, les auteurs prophétisent la naissance d’un mouvement générationnel. Sa cause : le conflit inévitable avec les prédécesseurs, les baby-boomers des années 1960. Cette période marquée par une forte natalité en Allemagne pèserait lourd sur le portefeuille des jeunes actifs actuels devant verser leur cotisation dans la caisse commune des retraites. L’ancienne génération essaierait bientôt de mettre les détenteurs du pouvoir de son côté de façon à obtenir une politique favorable aux retraites. Pour la première fois, « nous » serions ainsi prêts à défendre collectivement nos intérêts.

Cette théorie est contestable. Les générations existent peut-être dans la représentation de l’office fédéral des statistiques et dans les calculs de l’Etat, mais elles sont inutilisables en tant que catégories lorsqu’il s’agit d’un conflit d’intérêts : de tels conflits ne viennent pas de limites d’âges mais de la négociation de valeurs. Et nos valeurs ne dépendent pas toujours de l’âge.

Doit-on féliciter les auteurs pour avoir réussi à caractériser une génération ? Oui c’est sûr, il est bon de se retrouver dans ce livre : nous les révolutionnaires, nous, sensibles à l’égalité des sexes. Il faut cependant se méfier de ces conclusions. Die netten Jahre sind vorbei est une spéculation qui, en raison des son asservissement aux statistiques, ne possède qu’un faible potentiel de vérité.

Illustrations : Caricature : (cc)dalechumbley/flickr; Buchdeckel ©Campus Verlag; Generation (cc)adamscarroll/flickr; Video (cc)pondscum77/Youtube

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Translated from Generation was-denn-nun? "Die netten Jahre sind vorbei"