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Gastronomie : la France inscrite à l’Unesco ?

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Société

De grands chefs de la cuisine française approuvent une probable candidature au patrimoine mondial de l'humanité. En terre multiculturelle allemande, l’idée mijote mais se déguste avec modération.

La gastronomie allemande : une palette infinie de goût. Ici, le Little Istanbul berlinois.(Photo:Léa Chalmont)

L’Oranientrasse à Kreuzberg, le Little Istanbul berlinois. Ici, chacun se remet d’une dure journée de labeur ou de flânerie, le döner en main. Un sandwich aux suaves effluves orientales et fait de pain pita, de fines lamelles de viande grillée, de salade et de sauce aillée au yaourt que l'on peut dévorer goulûment dans la rue en marchant ! La cuisine Made in Germany décline une palette infinie de goûts : allemande ou turque, thaïlandaise ou italienne, berlinoise ou munichoise. Mais s'agit-il encore de gastronomie au sens où l'entendent les Français ?

Le 23 février, Nicolas Sarkozy annonçait sa volonté d’inscrire la gastronomie nationale au patrimoine mondial de l’Humanité de l’Unesco : « Comme tout art, la cuisine est censée évoluer, d’où mon scepticisme sur la pérennité et la viabilité d’un titre comme celui-là ». Michael Hoffmann, Francfortois de souche est détenteur d’une étoile Michelin est Chef au restaurant Margaux à Berlin. Il ne mâche pas ses mots : « Enfant, mon repas se composait de trois plats et offrait l’occasion d’échanger avec autrui. Manger est un élément fondamental qui contribue à une meilleure compréhension des hommes entre eux. Aujourd’hui nous l’expédions en un plat. Comment voulez vous concourir au titre de patrimoine de l’Unesco ? »

La cuisine, de l’utile à l’artistique

Le mot allemand « esskultur », traduit par « gastronomie » en français, signifie plutôt « culture alimentaire ». Un sens légèrement différent qui résume bien les rapports distincts qu’entretiennent les Français et les Allemands envers la cuisine. Outre-Rhin, on a longtemps vu la nutrition comme une fonction plutôt qu’un « plaisir ». Le mot « gastronomie », prononcé pompeusement à la française, transforme définitivement la cuisine en art. Que pensent les Allemands de l’ambitieuse volonté de Nicolas Sarkozy ?

Le ton ne change pas quand on s'éloigne des cuisines de Michael Hoffman. Jean Klein, linguiste et auteur d’un glossaire franco-allemand de cuisine décrivant et comparant les phénomènes culturels des deux côtés du Rhin, se montre lui aussi agacé par cette candidature : « La notion de patrimoine culturel immatériel de l’humanité doit se limiter à des traditions qui relèvent d’us et coutumes pérennes. Où en sera la cuisine française dans un siècle ? Personne n’en sait rien. »

Selon la convention de l'Unesco, le patrimoine « immatériel » concerne « les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature, les savoir-faire liés à l'artisanat traditionnel ». La gastronomie, tradition vivante, répondrait-elle à cette nouvelle classification ? Oui et non, d’après Michael Hoffmann : « Il faut faire attention. Si le monument historique est constant dans sa valeur, la cuisine est un savoir-faire qui se transmet. Or comment s’effectuera cette transmission ? »

Autant de gastronomie que de terroirs

La gastronomie française bénéficie d’une notoriété mondiale mais est-il bienvenu de l’admettre ? Et être au patrimoine de l’UNESCO changera-t-il quelque chose à sa notoriété ? La cuisinière vedette de Berlin au record d’audimat, Sarah Wiener, s’interroge : « Inscrire la gastronomie au patrimoine mondial me paraît être une bonne initiative, mais à quel titre la gastronomie française devrait-elle être considérée comme au-dessus des autres ? » Autrichienne de naissance, ce fin gourmet ne peut s’empêcher de préciser « que la cuisine française comme l’autrichienne comporte tant de terroirs nuancés qu’il faut au préalable la définir avant de la couronner. »

Si les germanophones philosophent, les Italiens contestent : l'Union européenne reconnaît en effet 166 spécialités italiennes contre 156 pour la France. Monica Tenderini est la cuisinière italienne du Café Marx à Berlin-Kreuzberg. Plus mesurée, elle ne saisit pas les motivations d’une telle entreprise « la cuisine est avant tout une culture et n’a rien d’un concours ! De plus il est hasardeux de chercher à matérialiser l’immatérialisable, l’impalpable. » Surtout quand ce sont des pans d’histoire que la gastronomie soulève. Pour Michael Hoffman, l’Allemagne est à part dans sa culture du goût et du manger : « La deuxième guerre mondiale a tout détruit. Pas seulement nos us et coutumes mais également notre gastronomie ! Les Allemands cultivent un manque d’assurance culinaire, conséquence d’un manque de confiance en soi. La culture allemande s’y est mise en sourdine face aux cultures de ses occupants. »

Montrer que l’art culinaire se transmet de génération en génération, et qu’il interagit avec la nature et l’histoire, voilà le défi à relever d’ici 2009 pour que la cuisine française atteigne la consécration. D’ici là, allez les cordons bleus et que « le mal temps passe et retourne le bon, pendant qu’on trinque autour de gras jambon », comme l’écrivait Rabelais.

Photos: en Une (...antonio.../flickr), Little Istanbul (Léa Chalmont), Munich (lea Reynolds/flickr)