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[fre] Les Soldats d'Odin : Vigilantisme et méfiance en Europe et à l'étranger

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Dorine Parmentier

Les tristes événements de Manchester et Londres de ces dernières semaines dans les salles de concert, les marchés et autres espaces publics hantent encore les citoyens européens. Des artistes connus comme Ariana Grande ou les Black Eyed Peas chantent l'espoir face à ces actes de terreur, et les médias cessent de souligner la menace de l'extrémisme radical qui s'exerce en Europe et à l'étranger.

Selon le rapport Eurobaromètre publié à l'automne 2016, l'immigration et le terrorisme représentent, selon les Européens, les deux enjeux majeurs au sein de l'Union Européenne. Dans le même temps, 82% - soit une large majorité - des Européens souhaiteraient que l'UE prennent davantage de mesures pour combattre le terrorisme. L'Union européenne a répondu à leurs inquiétudes en adoptant toute une série de mesures au niveau européen depuis janvier 2015.

Malgré tout, la peur est encore dans les esprits. Certains, comme les Soldats d'Odin, craignent que ces mesures ne soient pas suffisantes pour répondre à des enjeux d'une telle ampleur. Les Soldats d'Odin ont vu le jour en Finlande en 2015 sous le nom de "Dieu Nordique" ("Norse God"), et constituent un groupe de surveillance qui a connu une croissance rapide en Europe ces deux dernières années. Ils se donnent pour mission de préserver et de défendre la communauté contre le crime lié à l'immigration. Soit-disant créé suite aux préoccupations autour des aggressions sexuelles et des crimes qui ont eu lieu à Helsinki et dans d'autres villes d'Europe au réveillon du Nouvel An 2016, les Soldats d'Odin sont associés au sentiment d'insatisfaction générale envers l'afflux de réfugiés et de migrants en Europe. Le groupe est convaincu que ces derniers sont à l'origine de l'insécurité croissante dans les villes européennes. Bien qu'ils se défendent de cibler certaines ethnies ou religions, de nombreuses personnes les accusent de prôner l'extrémisme et la « suprématie de la race blanche » – Mika Ranta, le fondateur des Soldats d'Odin, est par ailleurs un suprémaciste blanc finlandais.

Alors qu'ils considèrent les étrangers comme la principale menace, le groupe entretient une aversion particulière pour l'état de la sécurité intérieure. Actuellement, les Soldats d'Odin patrouillent dans les rues de plus de 25 territoires européens et extra-européens, à la recherche de causes d'insécurité. Dénominateur commun de ces endroit : un sentiment fort de défiance à l'égard du gouvernement et du système d'application des lois. Dans une interview, les membres du groupe expriment leur colère et affirment que le gouvernement finnois a "tout foutu en l'air" et que les "politiciens autorisent les migrants à violer leurs femmes sans réagir". Leur méfiance face au gouvernement s'accompagne bien souvent de diatribes prophétisant la destruction par les migrants de communautés autrefois sécurisées et respectueuses.

Un Mouvement qui dépasse la Finlande

Il ne fait aucun doute que l'Europe a connu une période de migrations massives de réfugiés cherchant un asile poltiique dans les États membres. Depuis 2015, 333 350 demandeurs d'asile ont reçu la protection de ces derniers. Cependant, comparée à l'Allemagne, aux Pays-Bas, à l'Autriche ou encore à la Suède, la Finlande a accueilli un nombre relativement faible de ces migrants. Cela n'amoindrit pas pour autant l'hostilité à leur égard qui demeure dans une grande partie du pays. Tout porte à croire que, pour les Soldats d'Odin, le nombre réel de migrants arrivant en Finlande revêt une importance moins importance que la menace symbolique qu'ils représentent. Face aux crimes et aux actes terroristes qui ont des répercussions concrètes, et que l'on peut ainsi considérer comme le coeur de la menace, une menace idéologique émane de ces incidents. De toute évidence, l'afflux de migrants n'est pas uniquement une menace pour la sécurité, aux yeux des Soldats d'Odin : c'est une menace existentielle pour leur mode de vie.

Ce phénomène existe au-delà des frontières de l'Union européenne. Les Soldats d'Odin ont fait un certain nombre d'adeptes au Canada et aux États-Unis malgré l'absence d'un flux migratoire comparable à celui de l'Europe. Par ailleurs, le mouvement des Soldats d'Odin américains s'insurge, comme chez nous, face à un gouvernement qu'il juge laxiste et irresponsable face au terrorisme et au crime. Selon eux, les autorités au pouvoir montrent un "désintérêt manifeste" pour le contrôle des flux migratoires et le respect de l'intégrité des communautés présentes aux États-Unis. En outre, ils expriment ouvertement leur espoir de "travailler aux côtés des autorités locales" et être "leurs yeux et leurs oreilles là où ils ne peuvent voir", soulignant ainsi les lacunes des services de police.

‘Sécuriser nos communautés’: une chimère

Réfléchissons sur les Soldats d'Odin: nombreux sont ceux qui mettent en garde contre leurs liens potentiels avec le néo-nazisme, le fascisme, la suprématie blanche, le nativisme et le nationalisme extrémiste. Ces aspects sont bien évidemment problématiques et méritent de retenir notre attention. Moins visible cependant, l'une des critiques à leur égard à celle adressée à la tendance de ces groupes à répandre la défiance et la peur autour de réalités politiques hypertrophiées - et parfois complètement illusoires.

Remplaçant une présence policière, les Soldats d'Odin sillonnent les rues pour "sécuriser" les communautés ; beaucoup affirment que leur présence a l'effet inverse. Là où le groupe patrouille, de nombreux départements de police ont noté qu'ils n'ont en rien contribué à diminuer le crime. En réalité, le niveau d'insécurité a augmenté dans les territoires qu'il occupe, puisque les ressources policières sont mobilisées pour surveiller leurs activités et bien souvent le discours de haine qu'ils véhiculent. Ce groupe est étroitement lié à la violence: récemment, le leader Mika Ranta a été condamné à des peines multiples et à 18 mois de sursis pour aggression.

Dans son livre intitulé Migration, Terrorism, and the Future of a Divided Europe (ndlr "Migration, terrorisme, et le futur d'une Europe divisée"), Christopher Deliso souligne que malgré un nombre relativement faible d'attaques commises par des migrants en Finlande, les Soldats d'Odin sont tout de même parvenus à s'exporter à l'international grâce au climat d'insécurité lié à la crise migratoire. Instrumentalisant la peur ambiante, qui est leur principal moteur, le groupe tente de rendre la justice eux-mêmes et ainsi de répandre davantage de méfiance et d'angoisse dans la société, pointant du doigt certains groupes de personnes et l'Establishment.

Combattre les illusions : un travail pour les Européens ?

Les Soldats d'Odin ne sont qu'une illustration parmi d'autres des effets des campagnes de peur et de désignation de boucs émissaires sur les croyances populaires et, éventuellement leurs actions. Surfant sur la vague de xénophobie engendrée par la crise migratoire, la tendance au manichéisme, les catégories "nous" et "les autres", est devenue une rhétorique florissante. De même, dans de nombreux pays d'Europe, les partis populistes sont capitalisé sur cette rhétorique afin de s'attirer un soutien.

À une époque où la scène politique demeure incertaine, comment les institutions de l'Union européenne peuvent-elles regagner la confiance du peuple et empêcher une escalade dans la xénophobie et la recherche de coupables ? Dans une interview sur Facebook Live sur la migration, l'emploi et le terrorisme menée récemment, le Président du Parlement européen Antonio Tajani a déclaré que le futur de l'Europe reposait "entre nos mains et sur ce que nous désirons construire". Soulignant que de nombreux citoyens sont mécontents de la protection assurée par l'UE, il a mis l'accent que le rôle de l'Europe, qui est de "protéger nos intérêts, notre histoire, notre culture, et grâce à notre identité, ouvrir nos portes à ceux qui veulent vivre selon nos règles et venir travailler chez nous."

Avec la télévision,  les médias sociaux la presse et leurs rapports faisant état de la menace terroriste, les citoyens européens dans leur ensemble joueront un rôle dans le combat contre la xénophobie et la méfiance institutionnelle massive qui gagnent du terrain en Europe. Tandis que la critique peut - et devrait - se présenter sous la forme de mesures migratoires et de prévention du terrorisme, il faudrait être vigilants et ne pas propager des réalités politiques exagérées voire erronées. Les Soldats d'Odin ne sont pas le premier groupe vigilantisme à entonner un refrain anti-immigration, anti-establishment en Europe, et ne seront certainement pas les derniers à le faire. La simple précence de ce vigilantisme reflète l'essor d'un manque de confiance général envers le système politique européen.

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Translated from The Soldiers of Odin : vigilantism and mistrust in Europe and Abroad