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Europe–États-Unis : des présidents au régime

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Le Puy de Babel

Alors que les États-Unis amorcent leur dernière ligne droite dans la course à la présidentielle, Dominique Turpin, professeur de droit et ancien doyen de l’université d’Auvergne (Clermont-Ferrand) nous met au régime des constitutions. Équilibre nutritionnel assuré grâce à cette analyse comparative. Puy de Babel : Quel est l’origine du pouvoir présidentiel américain ?

Dominique Turpin : Les États-Unis se sont constitués en réaction contre le colon britannique en 1776. Les américains ont souhaité voter eux même pour leurs impôts et non que ce soit les britanniques qui le fassent à leur place. Ils se sont alliés dans une confédération, un état fédéral. Il y a avait une douzaine d’état. Aujourd'hui ils sont cinquante à la tête desquels il y a un président. C’est un régime présidentiel, il n’y a pas de moyen de pressions juridiques réciproques entre le pouvoir législatif (congrès, chambre des représentants et sénat) et l’exécutif, c'est-à-dire le président. Ce dernier ne peut pas dissoudre le sénat qui lui-même ne peut pas renverser le président. En revanche, on peut le renverser pour des raisons pénales, c’est l’impeachement. Cela a failli arriver à Nixon pour l’affaire du Watergate et à Bill Clinton pour avoir menti à propos de l’affaire Monika Lewinski. Le président à la totalité du pouvoir exécutif, il n’y a pas de premier ministre. Il y a des ministres, les secrétaires d’État, qui sont directement sous son autorité.

PDB : C’est donc un système beaucoup plus présidentiel que celui de notre Ve République française ? D.T. : En France, ce n’est pas exactement un régime présidentiel, mais on peut dire que nous sommes un régime présidentialiste qui donne une grande importance au Président de la République. Mais avec Nicolas Sarkozy il y a un double mouvement contradictoire : d’une part un hyper-président qui s’occupe de tout et d’un autre côté une réforme constitutionnelle qui a renforcé les contre-pouvoirs ; un régime hyper-présidentialisé, donc, et un équilibre plus grand avec la réforme qui entrera en vigueur en 2009.

PDB : Les américains, par ailleurs, semblent très attachés à leur constitution… D.T. : C’est la constitution fédérale de 1787. A la différence de la France, où nous en sommes à plus de vingt constitutions, les américains ont toujours la même mais en réalité, ils l’ont amendé près d’une trentaine de fois, elle est très différente de celle du départ. Mais ils y sont très attachés.

PDB : Une constitution qui a plus de deux siècles ne présente-t-elle pas des archaïsmes ? D.T. : Il peut toujours y en avoir, mais la constitution est ce que la Cour suprême dit qu’elle est. La cour suprême interprète la constitution et l’interprète de manière résolument moderne, encore que, la Cour suprême présente des juges extrêmement conservateurs qui ne veulent pas toucher à la constitution. Mais il y a des juges plus progressistes (aux États-Unis, on les appelle des libéraux, c'est-à-dire des gens de gauche pour ne pas dire des gauchistes) et qui souhaitent une interprétation moderne du texte.

PDB : Quels présidents américains sont restés des références dans l’histoire des États-Unis ? DT : Le premier d’abord, George Washington. Lincoln qui a supprimé l’esclavage et gagné la guerre de sécession contre le sud qui voulait maintenir l’esclavage. Et peut être Franklin Roosevelt qui au moment de la crise de 1929 – et c’est l’occasion d’en parler maintenant – est à l’origine du New Deal. Il a complètement rompu avec l’hyper-capitalisme américain, grâce à l’interventionnisme de l’état. Roosevelt a aussi sauvé l’Europe du nazisme en venant à son secours. Sachant qu’il a été élu quatre fois et qu’il a terminé vieux et malade, c’est depuis Roosevelt que les présidents américains ne peuvent plus être réélus plus d’une fois. Autrement dit, G. W. Bush, si tant est qu’il y ait encore qui que ce soit qui veuille voter pour lui, ne peut plus être réélu. Et puis le quatrième qui a laissé sa marque, plus au niveau du mythe que de la réalité, c’est John F. Kennedy, assassiné en 1963. Plus près de nous, il y a un président qui a bien réussi, qui ne laissera peut-être pas un trace aussi importante que ceux dont j’ai parlé, c’est Bill Clinton, qui a eu par ailleurs quelques problèmes de vie privée un peu agitée et un peu indigne pour un président mais qui eut un grand sens politique et la chance de la conjoncture peut-être aussi.

PDB : Est-ce que dans un autre registre, Ronald Reagan ne reste pas aussi un peu dans les mémoires ? D.T. : Ils y restent tous ! Reagan est un acteur de série B dont tout le monde en Europe, les intellectuels surtout, s’étaient moqués en le présentant comme un être primaire. Alors, on aime ou non sa politique. Mais Reagan n’aura pas laissé aux Américains et au reste du monde un mauvais souvenir. Il aura été un président à la hauteur de sa fonction.

PDB. Comment fonctionne le mode de scrutin ? D.T. : Les primaires concernent les cinquante états et commencent un an avant, dans l’Ohio. C’est une espèce de course de fond, et même de fonds, parce qu’il faut beaucoup d’argent pour le faire. A l’intérieur de chaque parti, il y a un tour de piste pour voir qui sont les meilleurs. Quand on s’inscrit sur une liste électorale, on peut s’inscrire comme démocrate ou républicain. Quand les primaires sont fermées, seuls votent les inscrits sur les listes du parti, quand elles sont ouvertes, n’importe qui peut venir voter. Et puis, il y a, dans certains états, des caucus, qui tiennent un peu de la réunion Tupperware, où on discute et on désigne.

PDB : La compétition a été plus soutenue dans le camp démocrate. D.T. : Il y a eu cette partie de bras de fer entre Obama, qui n’avait pas le pronostic favorable au départ, et Hillary Clinton. Chaque parti a son leader, qui a été ovationné lors des conventions des partis. Il va y avoir, le premier mardi de novembre, le vote pour les grands électeurs (ce qu’on appelle le popular vote). Le président américain n’est pas directement élu, mais ces grands électeurs, dont le nombre est proportionnel à l’état qu’ils représentent, vont élire le président. Depuis plusieurs décennies, ces grands électeurs ont un mandat impératif : on sait pour qui ils se sont engagés à voter et quand on connaîtra la composition du collège des grands électeurs, on sait qui sera président. Mais il n’entrera en fonction qu’en janvier 2009.

PDB : Que se passe-t-il entre novembre et janvier ? D.T. : Entre temps, il va y avoir cette période particulière de deux gros mois avec Bush dont tout ce qu’il peut dire et faire n’a pas grande importance. Mais c’est encore lui qui a les clés du camion. Le président élu va venir s’installer à Washington, près de la maison blanche en disant « Prenez votre temps, mais enfin, quand est ce que vous laissez l’appartement ? » C’est une période un peu difficile. Et puis il peut se passer qu’un candidat qui a plus de voix ne soit pas élu parce qu’il a moins de grands électeurs. Surtout si les machines à voter sont détraquées et qu’il y a des contestations, comme ça a été le cas il y a huit ans en Floride, dont, comme par hasard, le gouverneur est le frère de Bush. On peut considérer que Al Gore, battu par plus de voix que Bush, s’est fait un peu volé sa victoire. Même si dans la mentalité américaine, il a perdu, il a perdu ! C'est un looser. Les Américains ne supportent pas les perdants et ne vont pas chercher si c’est la faute de l’arbitre ou si le terrain est glissant.

PDB : Rare qu’un perdant se représente ? D.T. : Oui, très rare. John Kerry n’a même pas retenté sa chance. Des présidents comme Mitterrand ou Chirac élus à la troisième tentative, il ne me semble pas que ça ait existé aux États-Unis.

Propos recueillis par F.C.