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Être homo en Turquie : entre castration et sites de rencontre

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Société

Entre Occident et Orient, entre rêve européen et un inexorable « Caucasian way of life », la Turquie ne semble pas encore être devenue un pays gay-friendly. Interview de Mehmet, un jeune turc qui raconte comment, loin des grandes métropoles du pays, la liberté sexuelle reste un privilège réservé à l'élite culturelle, à moins qu'elle ne repose dans le dédale des sites de rencontres... Être

La Turquie a envie d'Europe. Malgré tous les paradoxes d'une culture toujours partagée entre Occident et Orient et en proie à la crise, de nombreux Turcs, et notamment les jeunes, s'inspirent encore de notre modèle économique et social. En outre, dans les villes de l'Ouest du pays, il n'est pas difficile de trouver des garçons ou des filles bien plus ouverts que leurs homologues européens, le tout parallèlement aux traditionnels voiles et minarets. La Turquie, toutefois, reste un pays ancré dans des dogmes qui en Europe (ou du moins dans la majeure partie du contient) sont considérés comme l'héritage d'un passé dont il faut se détacher. Si pour les entrepreneurs et les étudiants il est aisé de contempler la splendeur de notre « civilisation », il y a encore des tabous qui sont restés intacts, malgré l'envie de changement et l'augmentation du bien-être : la Turquie traverse la crise comme l'ensemble de la planète, mais certaines villes telles qu'Istanbul, Ankara et Izmir voient leur PIB grimper de 10% par an, alors que le reste du pays est encore profondément dépendant d'une économie primaire, basée sur l'agriculture et le tourisme. Mais même dans les zones les moins pauvres le malaise concernant une tradition perçue non seulement comme rétrograde, mais aussi dangereuse, se ressent fortement.

A Caucasian way of life

On peut éventuellement être libre en entrant dans un cercle culturel de privilégiés, mais pour les gens normaux la seule solution réside dans les sites de rencontres

Mehmet a 29 ans. Après des études d'ingénieur, il vit et travaille actuellement dans une petite ville au bord du Détroit des Dardanelles, dans la région la plus imprégnée de ce que l'on pourrait appeler ironiquement le « Caucasian Way of Life ». L'université est réputée, la ville est assez vivante, pas très loin d'ailleurs d'Istanbul et d'autres grands centres urbains. Toutefois, le fait de dire que Mehmet ne peut pas vivre librement son homosexualité est un euphémisme. « En Turquie, c'est comme dans l'armée américaine : tant que tu ne dis rien, tout va bien », explique-t-il. « Le fait d'être gay n'est pas un problème en soi, surtout parmi les jeunes, mais il le devient quand c'est une affaire privée, qui se déroule à huis clos. » En considérant que ce phénomène est beaucoup plus répandu que ce qu'on pourrait prévoir (selon un récent sondage, le nombre de personnes ouvertement gays en Turquie dépasserait les 3 millions), et que nombre de ces personnes, bien qu'elles ne le fassent pas forcément de manière visible, soutiennent les droits des homosexuels et essayent d'organiser pendant leur temps libre des activités culturelles en vue de sensibiliser la population, il semblerait légitime aux yeux d'un Européen de s'attendre à plus à l'intérieur du pays (même si, il y a quelques années, dans « l'ultra-civilisée » Slovénie, j'ai rencontré une fille qui m'a parlé d'une véritable « chasse aux lesbiennes », chasse dont elle fut la protagoniste, malgré elle).

Lire aussi « De l'Europe aux BRICS : la transhumance de la Turquie »  sur cafebabel.com

« Chez nous, c'est la même chose. Même si ma ville est plus "libre" que d'autres, elle est tout de même trop petite. Avec tous les amis et membres de ma famille que j'ai ici, je n'ose pas parler de mon homosexualité. Dans le meilleur des cas, je subirais les commérages et un certain ostracisme. Peut-être qu'à Istanbul ou à Izmir, qui sont des villes plus peuplées et qui ont une vie culturelle très active, j'aurais des possibilités. Mais ici je ne pourrais pas être libre. »

La liberté existe seulement via Internet

« Dans la vie de tous les jours, la pression sociale est largement suffisante pour nous 'castrer', et le fait qu'on ne risque pas la pendaison comme dans certains pays musulmans extrémistes ne signifie pas que l'on s'amuse tous les jours »

Mais alors comment fait un gay pour pouvoir se sentir libre en Turquie ? Naturellement, c'est peut-être en entrant dans ce cercle culturel de privilégiés qui, dans la pensée collective, est toujours fortement associé à la libéralisation des moeurs (unique exemple célèbre en Turquie : Fernan Özpetek). Cependant, pour les gens normaux, il ne reste que les sites de rencontres. « Je peux reconnaître les gays autour de moi après seulement quelques secondes, mais jamais aucun n'aurait le courage de se dévoiler. En ligne, évidemment, c'est différent, même si il y a toujours le fameux problème de ceux qui mentent sur leur identité », raconte Mehmet. « Mais même lorsque tu tombes sur une vraie personne, la plupart du temps celle-ci est seulement à la recherche de sexe. Gérer une relation au-delà de la relation platonique est quasiment impossible. Ainsi la majeure partie d'entre nous se contente d'aventures d'une nuit, sans espérer quelque chose d'autre. » De plus, la plupart de ces sites ont désormais été censurés par le gouvernement qui, en accord avec les grandes instances de la religion musulmane, ne tolère pas l'homosexualité, même virtuelle. C'est seulement en désactivant toute forme de filtre qu'il est possible d'accéder à ce genre de sites, qui ont été légalement occultés.

Et en ce qui concerne ceux qui veulent s'engager dans une relation ? « Il manque en Turquie des normes en ce qui concerne l'homosexualité, celle-ci n'étant ni condamnée, ni encouragée. Évidemment dans l'armée un homosexuel ne serait tout simplement pas pris en considération, celle-ci étant un milieu totalement macho. Mais dans la vie de tous les jours la pression sociale est largement suffisante pour nous « castrer ». Le fait qu'on ne risque pas la pendaison comme dans certains régimes musulmans extrémistes ne signifie pas que l'on s'amuse tous les jours. »

Les sites les plus populaires sont gabile.com, planetromeo.com, manjam.com.

Lire aussi l'interview de Martin Mazza sur cafebabel.com

Une impression que confirment également d'autres gays interviewés, en plus de Mehmet, et qui parlent d'une différence culturelle extrême entre les diverses consciences présentes dans le pays. Au centre et à l'est, les mentalités ne sont pas aussi ouvertes et libres. Beaucoup d'hommes gays en viennent à se marier, moins pour se protéger eux-mêmes (ils pourraient simuler un autre acte « extravagant » pour justifier leur choix de ne pas fonder une famille) que pour protéger leurs proches d'un fort ostracisme, qui pourrait entraîner des conséquences lourdes. Ceci a lieu bien que de nombreux gays cherchent une seconde vie en tant que « bisexuel », à l'abri des regards de leur famille et de leur propre femme. « Au final, même si nous nous faisons passer pour laïques, nous sommes toujours attachés à la robe des imams », conclut Mehmet. « J'ai peur qu'avec la croissance des villes, il y ait un phénomène de retour en arrière, avec d'une part la recrudescence de la culture libérale de ces dernières, et d'autre part l'arrivée massive de gens de la campagne et leur morale conservatrice. »

L'interview de Mehmet fait partie de la série des portraits LGBT éditée par Cafebabel.com.

Photos : Une © Adrien Le Coärer graphisme.com ;chemin de fer (cc)  Julian Turner/flickr; masque (cc) Thomas Weidenhaupt/flickr

Translated from Essere gay in Turchia: "per la gente normale resta solo il cyber-dating"