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Et si le football pouvait sauver le projet européen?

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Bruxelles

L’Al­le­magne a rem­porté sa qua­trième coupe du Monde face à l’Ar­gen­tine. La Na­tio­nal mann­schaft  s’est im­po­sée comme un vain­queur na­tu­rel tout au long du tour­noi.

La réus­site et l’ef­fi­ca­cité ger­ma­nique ont été dé­voi­lées aux yeux du monde à tra­vers la vic­toire, dé­sor­mais his­to­rique, sur le Bré­sil pays or­ga­ni­sa­teur par 7 buts à 1. Ce triomphe est loin d’être le fruit du ha­sard. Il est l’abou­tis­se­ment d’une stra­té­gie am­bi­tieuse de long terme et ca­rac­té­rise la dy­na­mique al­le­mande qui dé­passe le monde du foot­ball. Ainsi, quels sont les en­sei­gne­ments po­si­tifs que nous pou­vons tirer de cette réus­site? Com­ment s’en ser­vir pour amé­lio­rer notre condi­tion ci­toyenne de façon ef­fi­cace ? 

Tout sim­ple­ment en cal­quant la dy­na­mique spor­tive au pro­jet po­li­tique Eu­ro­péen. En effet, ce qui compte dans une ba­taille in­tel­lec­tuelle, phy­sique ou spor­tive c’est tout au­tant l’as­sem­blage des com­pé­tences que les com­pé­tences. Au delà de la qua­lité in­trin­sèque d’une équipe, sa dy­na­mique de groupe est pri­mor­diale. Ainsi re­dé­fi­nir le pro­jet eu­ro­péen en axant sur une co­hé­rence col­lec­tive don­nera de bien meilleurs ef­fets. A l’heure où les sur­sauts na­tio­na­listes sont « ten­dances », cette ré­flexion doit nous per­mettre de prendre du recul sur le fonc­tion­ne­ment de l’UE. Po­li­ti­cus vous pro­pose de mettre en pers­pec­tive le pro­jet eu­ro­péen dans une lo­gique col­lec­tive et construc­tive, et ainsi sau­ver une construc­tion eu­ro­péenne en souf­france.

Le mo­dèle Al­le­mand : entre sport et po­li­tique. 

Ce qui jailli de l’équipe al­le­mande c’est son or­ga­ni­sa­tion par­fai­te­ment ca­li­brée et une im­pli­ca­tion col­lec­tive à toute épreuve. En effet, chaque joueur ou chaque pièce de ce puzzle ap­porte sa pierre à l’édi­fice, et s’ins­crit dans un col­lec­tif qui ne laisse pas place à l’in­di­vi­dua­lisme. Au sein de ce col­lec­tif une hié­rar­chie na­tu­relle s’ins­talle tan­dis que l’or­ga­ni­sa­tion mil­li­mé­trée se met en place. L’Al­le­magne du foot­ball c’est un pro­jet à long terme qui porte au­jour­d’hui ses fruits. A l’image de son éco­no­mie, le foot­ball al­le­mand jouit d’une constance et d’une ré­gu­la­rité dans ses ré­sul­tats de­puis une di­zaine d’an­née qui force le res­pect. L’Al­le­magne a semble t-il ex­ploi­ter de façon plus qu’in­tel­li­gente le foot­ball comme am­bas­sa­deur de la mé­thode ger­ma­nique. En effet, le Foot­ball est un vé­ri­table gé­né­ra­teur de crois­sance créant une dy­na­mique po­si­tive. L’Al­le­magne a construit une stra­té­gie pour rem­por­ter la coupe du monde en jouant sur plu­sieurs va­riables : des clubs forts, une for­ma­tion de qua­lité, des in­ves­tis­se­ment mas­sifs dans les in­fra­struc­tures. Le Bu­si­ness model  al­le­mand a in­dus­tria­lisé le foot­ball en lui don­nant une dy­na­mique de ren­ta­bi­lité avec re­tour sur in­ves­tis­se­ment. Les in­ves­tis­se­ments mas­sifs sus­ci­tés ont res­serré le lien entre les équipes de club et les grandes en­tre­prises ré­gio­nales telles que Bosch, Sie­mens, Al­lianz, etc ; de­ve­nues la fierté des länders. Ici, les dif­fé­rents ac­teurs savent quels sont les ef­forts consen­tis et sur­tout dans quel but. Ils en com­prennent plei­ne­ment la lo­gique et adhé­rent donc na­tu­rel­le­ment au pro­jet. C’est la seule façon de ré­équi­li­brer la po­li­tique eu­ro­péenne de la tech­no­cra­tie vers la dé­mo­cra­tie. Il et temps d’of­frir aux ci­toyens eu­ro­péens un vé­ri­table débat po­li­tique et éco­no­mique à l’échelle eu­ro­péenne. Quel sys­tème ? Quelle ré­forme ? Pour­quoi faire ? Com­ment le réa­li­ser?

Com­ment chaque élé­ment peut il ap­por­ter une plus-va­lue à l’équipe ? En ré­pon­dant à des be­soins spé­ci­fiques an­ti­ci­pés en amont. Un pa­ral­lèle peut être fait ici avec la for­ma­tion des jeunes di­plô­més où les grandes uni­ver­si­tés qui se ca­librent sur les be­soins fu­turs des grandes en­tre­prises.  Tant de tech­ni­ciens dans tel sec­teur, tant d’in­gé­nieurs dans ce sec­teur. Cela pré­sente deux avan­tages. Le pre­mier lut­ter contre le chô­mage des jeunes di­plô­més en res­pec­tant une adé­qua­tion offre–de­mande d’em­ploi à la sor­tie de l’uni­ver­sité. Le se­cond op­ti­mi­ser la dé­pense pu­blique de l’édu­ca­tion na­tio­nale. 

De nom­breux in­tel­lec­tuels voient à tra­vers le sport la re­pré­sen­ta­tion d’un sys­tème concur­ren­tiel à ten­dance li­bé­rale. Avec gros­siè­re­ment plu­sieurs com­pé­ti­teurs qui suivent les même règles du jeu et uti­lisent leurs atouts phy­siques et in­tel­lec­tuels pour se dé­par­ta­ger. Au­jour­d’hui le terme li­bé­ra­lisme a été dé­voyé et ex­prime une idée né­faste. Pour­tant le li­bé­ra­lisme, à l’image du sport, im­plique une concur­rence saine et équi­li­brée ab­sente au­jour­d’hui. Le sport n’est plus un simple loi­sir mais un enjeu géo­po­li­tique ma­jeur, où l’ob­ten­tion de l’or­ga­ni­sa­tion des J.O ou d’une coupe du monde de­vient une vé­ri­table vi­trine mon­diale. C’est ce que met­tait en avant Pas­cal Bo­ni­face dans ses ou­vrages « Sport et géo­po­li­tique » et « Le sport c’est bien plus que du sport ! ». La vic­toire al­le­mande reste évi­de­ment anec­do­tique. L’idée est de sou­li­gner na­tu­rel­le­ment les  bien­faits d’une stra­té­gie col­lec­tive don­nant des ré­sul­tats po­si­tifs et tan­gibles ap­pli­cables à l’échelle Eu­ro­péenne.

D’une men­ta­lité col­lec­tive à un bench­mark eu­ro­péen

Le le­vier ca­pable de faire évo­luer po­si­ti­ve­ment le pro­jet eu­ro­péen reste la men­ta­lité des états membres. Ainsi, si l’en­semble des pays de l’UE adop­tait une ap­proche com­mune où la réus­site col­lec­tive prime sur les vel­léi­tés in­di­vi­duelles, les ré­sul­tats éco­no­miques se­ront sans com­mune me­sure. La na­tion ne doit pas de­meu­rer un cri­tère de di­vi­sion mais bel et bien s’ins­crire dans un col­lec­tif ef­fi­cace et sy­ner­gique. L’équipe al­le­mande est une belle illus­tra­tion de cette dy­na­mique. Le pro­jet eu­ro­péen quant à lui os­cille entre dés­in­té­rêt et frus­tra­tion. Cette Eu­rope est cou­pée entre une vo­lonté de fé­dé­ra­li­ser le pou­voir ou de le lais­ser s’ef­fri­ter à l’éche­lon na­tio­nal. Une Eu­rope trop li­bé­rale par rap­port à la vo­lonté ci­toyenne qui sou­haite pré­ser­ver leurs mo­dèles so­ciaux, re­flet de leurs his­toires et iden­ti­tés. Ac­tuel­le­ment la co­opé­ra­tion entre états im­pose na­tu­rel­le­ment l’ordre du pays le plus puis­sant éco­no­mi­que­ment au sein de la zone au dé­tri­ment des autres. Au­jour­d’hui l’Al­le­magne d’An­gela Mer­kel. Pour­tant l’Eu­rope doit s’ex­pri­mer dans sa plu­ra­lité et ne peut sur­vivre à tra­vers un mo­dèle unique.

Un bench­mark eu­ro­péen doit être fait de façon ef­fi­cace et prag­ma­tique. C’est à dire ne pas cal­quer mé­ca­ni­que­ment chaque ini­tia­tive sous pré­texte d’être « la­bé­li­sée » al­le­mand. L’ab­sence de Smic dans cer­tains sec­teurs a été pré­sen­tée comme la voie à suivre en France sous pré­texte de la réus­site al­le­mande. Leur mo­dèle éco­no­mique est basé sur leurs be­soins et spé­ci­fi­ci­tés his­to­riques et so­ciales. Nous avons pris pen­dant des an­nées le mo­dèle éco­no­mique Al­le­mand en exemple ; consi­dé­rant qu’étant le lea­der éco­no­mique on de­vait tout sin­ger. De façon gé­né­rale les pays du sud de l’Eu­rope réa­lisent da­van­tage leurs crois­sances grâce à la consom­ma­tion in­té­rieure et le tou­risme en est un car­bu­rant. La France reste la pre­mière des­ti­na­tion tou­ris­tique, elle ne peut donc prendre comme ré­fé­rant unique le mo­dèle in­dus­triel Al­le­mand. Sa lé­gis­la­tion, son droit du tra­vail doit ré­pondre aux be­soins lo­caux.

En adap­tant le prin­cipe des avan­tages com­pa­ra­tifs de l’éco­no­miste bri­ta­nique David Ri­cardo, chaque pays membres bé­né­fi­ciera de son sec­teur mo­teur. Chaque pays pourra alors se concen­trer da­van­tage sur des fi­lières de spé­cia­li­sa­tion basée sur ses res­sources propres et en adé­qua­tion avec les be­soins de la zone.  De façon plus spé­ci­fique cela pose la ques­tion d’une crois­sance eu­ro­péenne ré­par­tie en cœur d’ac­ti­vité et par spé­cia­li­tés. Il faut ex­ploi­ter les mul­ti­tudes de sy­ner­gies pos­sibles dans un es­pace éco­no­mique et po­li­tique eu­ro­péen  équi­li­bré et lim­pide.

Le rôle du Royaume-Uni au sein de l’UE pose ques­tion. Ne voyant qu’en l’Eu­rope un vaste mar­ché, nos amis bri­tan­niques ou­blient que pour com­mer­cer sai­ne­ment, il faut des règles com­munes. Le pro­jet Eu­ro­péen doit da­van­tage uti­li­ser  les atouts de chaque membre de façon ré­flé­chi et stra­té­gique. Pen­dant des an­nées nous avons cessé de nous faire la guerre éco­no­mique à coup de dum­ping fis­cal, de dé­fla­tion sa­la­riale voire de concur­rence en­vi­ron­ne­men­tale. En com­pa­rant sans cesse nos ba­lances ex­té­rieures nous consi­dé­rions que c’était un ins­tru­ment per­ti­nent de santé éco­no­mique. Notre mon­naie com­mune et nos éco­no­mies in­té­grées doivent nous for­cer à avoir un re­gard nou­veau. Une zone mo­né­taire op­ti­male et ef­fi­cace éco­no­mi­que­ment doit com­bler les dés­équi­libres via les trans­ferts bud­gé­taires. Comme c’est le cas en France entre la ré­gion IDF et la ré­gion centre, moins dy­na­mique éco­no­mi­que­ment. A échelle, eu­ro­péenne les Euro-bonds ont été une pre­mière avan­cée dans ce sens mais res­tent mar­gi­naux puisque les taux d’em­prunt entre états (spread) dif­fé­rent en­core de façon trop im­por­tantes. Mais éga­le­ment en adop­tant une meilleure co­hé­rence mo­né­taire à tra­vers la po­li­tique de la BCE. L’ac­cu­mu­la­tion de pays qui ont des in­té­rêts éloi­gnés et qui pour­raient frei­ner la dy­na­mique doit être dis­cuté. L’Eu­rope sera d’ailleurs plus à même d’ac­cueillir se­rei­ne­ment les nou­veaux en­trants une fois qu’elle aura at­teint un har­mo­nieux rythme de croi­sière. Pre­nons le temps de re­dé­fi­nir le pro­jet Eu­ro­péen, Qui ? Pour faire quoi ? Com­ment peut il contri­buer à ren­for­cer le pro­jet ? La mon­tée de l‘eu­ros­cep­ti­cisme, lé­gi­time au vu du flou am­biant, et sur­tout la fé­bri­lité de la pos­tions eu­ro­péenne sur le dos­sier ukrai­nien doivent nous in­ter­pel­ler sur pour­quoi nous sou­hai­tons construire l’Eu­rope.

L’ob­so­les­cence des sys­tèmes so­ciaux qui ne cor­res­pondent plus ni aux be­soins des ci­toyens ni aux en­jeux éco­no­miques ac­tuels doit nous in­ter­pel­ler. Il faut re­dé­fi­nir un mo­dèle de so­ciété eu­ro­péenne dont le tronc com­mun per­met­tra une in­té­gra­tion vou­lue par les ci­toyens et non for­cée par l’éco­no­mique. Cette pers­pec­tive de re­dé­fi­ni­tion du pro­jet et de re­mise à plat est le seul moyen de ré­for­mer du­ra­ble­ment et ef­fi­ca­ce­ment nos mo­dèles de so­cié­tés.  Cette in­tros­pec­tive pour­rait être fi­na­le­ment le meilleur moyen de ré­for­mer en pro­fon­deur. Ainsi, en dé­fi­nis­sant de façon glo­bale le sys­tème de re­traite, de contrat de tra­vail, de pres­sion fis­cale, etc, on amé­liore la co­hé­rence d’en­semble. Par exemple on peut trou­ver des pers­pec­tives com­munes et des bases saines pour un taux d’em­prunt eu­ro­péen com­mun. Ce­lui-ci en­tre­tien conti­nuel­le­ment les dis­pa­ri­tés éco­no­miques et donc so­ciales entre le nord et le sud de l’Eu­rope.

La dé­mo­cra­tie selon Amar­tya Sen ré­side dans une dis­cus­sion pu­blique construc­tive, qui ac­tuel­le­ment fait cruel­le­ment dé­faut en Eu­rope. Prin­ci­pa­le­ment sa­cri­fiée et sa­bo­tée par les par­tis tra­di­tion­nels et uti­li­sée comme dé­fou­loir po­li­tique. La mise en place de ré­forme et les chan­ge­ments ins­ti­tu­tion­nels doivent se faire de façon éclai­rée et in­té­grante pour les ci­toyens. A l’heure ac­tuelle nous ne sa­vons pas clai­re­ment vers quoi se di­rige l’Eu­rope. Il se­rait grand temps de se ré­or­ga­ni­ser en équipe au­tre­ment le score final sera sans appel. Lais­sons le sport ca­na­li­ser ces excès pa­trio­tiques et ex­pri­mer la vo­lonté de gran­deur des pays.

Wer­ner La­tour­nald