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Ephemerals : les battements de l'âme

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VICTORIA RICHARD

Culture

Courte mais intense, l'histoire des Epheremals se lit comme un savant mélange. Les genres d'abord tant ils empruntent autant au funk, au jazz qu'à la soul. Les membres ensuite, puisque le groupe est composé d'Anglais, de Français et d'Américains. Après deux albums remarqués, ils reviennent avec Egg Tooth et une tournée européenne qui a vu défiler le Brexit, Donald Trump mais aussi « l’espoir ». 

Assis à la terrasse du Sunset Sunside, un jazz-club réputé situé dans une toute petite rue du premier arrondissement de Paris, les hommes que je suis venu rencontrer un jeudi soir ressemblent à s'y méprendre à une bande d'hipsters parisiens : barbe de 3 jours pour certains, barbe de 3 mois pour d'autres, un nombre impressionnant de couleurs sur leurs vêtements et un soupçon de paillettes sur le visage. C'est seulement au moment où vous vous approchez d'eux et que vous entendez leur accent british que vous réalisez qu'ils ne sont pas d'ici. 

Le début de la fin

Puis, un gars trappu coiffé d'un chapeau de feutre se lève de table et vient à ma rencontre sur le pas de la porte du club. Il s'agit de Jimi Needles, le batteur du groupe. Il me serre la main et me dit qu'ils sont en train d'attendre pour une séance photos mais qu'il y a un problème. « Wolf ne va pas être là », me dit-il. Apparemment, c'est quelque chose de récurrent. Cependant, après quelques minutes, le chanteur américain - de son vrai nom Wolfgang Valbrun - fait son entrée, coiffé d'un bonnet montrant un léopard des neiges perché au sommet de sa tête et les doigts sertis de bagues. Prêt pour le gros plan, Mr DeMille.

Finalement, la séance photos se déroule comme prévu et je suis les membres du groupe au sous-sol, là où tout leur matériel est installé pour le concert de ce soir. Nous nous asseyons en cercle, dans un petit coin de la pièce, sur des chaises rouges et blanches en cuir avec l'impression d'être le groupe de soutien le plus étrange qui soit. Tout le monde est enthousiaste mais aussi visiblement très fatigué : ce soir, Ephemerals donne son dernier concert après une tournée européenne qui est passée par le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique et enfin Paris.

Wolf, le chanteur-leader du groupe est celui qui parle le plus ainsi que le guitariste au nom incroyable : Nic Hillman Mondegreen. Un homme mince portant un chignon et une barbe couleur cuivre que Wolf décrit comme « l'architecte du groupe ». Les deux hommes se sont rencontrés en 2013, lorsque Wolf chantait en tant que choriste dans un autre groupe. Ephemerals est né et Nic a recruté d'autres musiciens pour compléter la formation. 

« C'est mon boulot de faire en sorte que les personnes qui correspondent à ce qu'on recherche, restent dans le groupe. Je connais Jimi et Adam [Holgate, le bassiste] et Damien [McLean, le trompettiste] depuis quelque temps. Nous avons perdu notre saxophoniste il y a quelques années et Thierry [Lemaitre] nous a rejoint du jour au lendemain car il était de Paris et nous devions faire un concert ici. Dès que nous l'avons entendu jouer, nous savions que c'était ce qu'on voulait. Depuis, on ne l'a pas lâché d'une semelle. »

« Si on voulait ne faire que des tubes, on le ferait »

Les Ephemerals ont sorti trois albums - leur dernière production, Egg Tooth, est sortie au mois d'avril. Sur cet album, le groupe est accompagné par un ensemble de 13 musiciens comprenant un harpiste et un quatuor à cordes. Cela donne à l'album un son plus complexe et plus riche. Mais transposer ce projet sur scène représente également un véritable défi pour le groupe qui est en tournée avec la formation habituelle. « Contrairement à la plupart des groupes, les musiciens classiques ne travaillent pas leurs morceaux sur la route, explique Nic. Ils enregistrent d'abord puis ils travaillent ensuite sur toute la logistique du live. » 

« Lorsque tu montes sur scène après avoir passé du temps à enregistrer en studio, c'est comme si tu étais complètement nu, nous confie Nic. On se pose toujours la question : mais qu'est-ce qu'on va bien pouvoir jouer là où les cordes sont censées intervenir ? Il s'agit d'essayer de jouer avec style - ne pas envahir l'espace mais trouver le bon équilibre à sept. »

Les deux premiers albums d'Ephemerals - Nothin is Easy et Chasing Ghosts - avaient un son soul assez traditionnel. Le groupe prend un virage radical avec Egg Tooth en adoptant un son plus psychédélique. Le titre, nous explique Adam (par ailleurs resplendissant dans son poncho de laine), provient de la nature - une « dent d'oeuf » est ce que les oiseaux et les reptiles utilisent pour sortir de leur coquille et faire leur entrée dans le monde. Le premier single de l'album, The Omnilogue, d'une durée de 6 minutes, se détache des autres chansons qui durent environ 3 minutes. Pour Wolf, il y a une raison précise à cela.

« Une personne évolue mais elle reste en même temps la même personne, explique-t-il mystérieusement. Un groupe de musique peut aussi évoluer tout en restant le même groupe. Parfois, les gens voient les groupes comme des sculptures : ils ne changent pas, ils sont comme figés dans le temps. Nous ne sommes pas des sculptures, nous sommes des êtres humains d'où le nom du groupe : Ephemerals. Nous sommes éphémères. »

D'une certaine manière, on peut dire que la vie de Wolf elle-même a été fluctuante. Ayant grandi à New York, il débarque à Paris à l'adolescence, après le divorce de ses parents. Quand je lui demande ce qu'il ressent lorsqu'il joue dans sa ville natale, il me répond, tout en s'enfonçant un peu plus dans le canapé, qu'il ne se sent pas à sa place en réalité. Malgré le fait qu'il vive ici depuis l'adolescence, il ne se sent pas pour autant Français : « Je ne peux pas vraiment m'identifier à une nationalité ou à une patrie. J'aime m'attacher aux gens et non pas à un lieu ou à une culture ».

Je lui demande si, par le passé, il a essayé de s'intégrer davantage. « Quand j'étais jeune, c'était difficile, me raconte-t-il. Vous avez envie de dire : "Je viens d'une culture occidentale, voilà ce qui me définit", mais cela ne représente qu'une partie infime de ce que vous êtes. L'adolescence arrive et on réalise que les gens sont cons et que le monde n'est pas aussi parfait que vous le voudriez... À partir de là, je me suis dit : "Je ne veux pas de ça, cela me ferme".»

« Je ne souhaite pas que les gens cherchent à m'identifier de façon claire. Ils le font déjà assez parce que je suis noir. Ils me demandent toujours d'où je viens. C'est très étrange. Tu es constamment obligé de te justifier et c'est quelque chose que je ne fais plus parce que je m'en fous. »

« Le groupe non plus n'a pas de "maison”, intervient Nic. C'est ce qui est vraiment cool. Nous vivons tous un peu partout en Angleterre et quand nous jouons, nous entrons dans notre petite bulle. »

 

Même si les Ephemerals peuvent se considérer comme une micro-nation indépendante, ils ne vivent pas pour autant sur une île coupée du monde et se tiennent au courant des turbulences de la vie politique actuelle. Jimi se souvient de l'ambiance tendue qui régnait pendant le Festival de Glastonbury en 2016, au lendemain du referendum sur le Brexit : « Nous nous sommes tous réveillés le samedi matin avec un profond sentiment de colère. C'était horrible d'être ici et d'entendre de telles nouvelles. On était tous sous le choc et les festivaliers étaient aussi très tristes... Et puis quelques mois plus tard, Donald Trump a été élu. Quand est-ce que cela va s'arrêter ?! »

« Ces satanés murs »

Jimi souligne également un autre effet que peut avoir le Brexit : « Comment un groupe qui lutte pour s'en sortir financièrement à cause de la hausse des dépenses fera plus tard, une fois que la Grande-Bretagne n'aura plus la même liberté de mouvement dans l'Union européenne ? » En confiant que cette question peut paraître un peu égoïste, il ajoute : « La grande question à se poser, c'est "Pourquoi il y a une telle monté de la xénophobie, du racisme et du sentiment de division ?" Toujours les murs, ces satanés murs. »

Wolf interrrompt la conversation : « Je ne pense pas que c'est égoïste de penser ça. La politique ne devrait jamais influencer la culture. Pas de cette manière en tout cas. On mine les gens lorsqu'on les empêche de circuler comme ils veulent. La question n'est pas de savoir si nous sommes égoïstes ou pas. Il faut se rendre compte que nous nous éloignons de plus en plus de la liberté et c'est effrayant ».

La solution ? « C'est simple, renvoie Nic. Il faut combattre la haine par l'amour. Voilà pourquoi nos posts sur Twitter sont uniquement positifs. C'est important. J'essaie de mettre en avant le positif et j'élimine le négatif. »

Nic gère tous les réseaux sociaux du groupe et chaque profil possède sa propre voix : leur compte Instagram est un espace pour plaisanter et parler de tout et de rien - on y trouve un mélange de photos drôles et de blagues incompréhensibles - alors que leur page Facebook représente le profil professionel d'Ephemerals. Leur Twitter est très important. Considéré comme un véritable plaidoyer, on peut voir sur leur compte des citations ainsi que des images inspirantes. Certaines publications sont politiques : le groupe a twitté par exemple sur le Green Party au Royaume-Uni et sur le soir des élections présidentielles en France. Nic a posté une capture d'écran montrant le résultat de l'élection avec en commentaire un seul mot : « Espoir ».

Le but de Nic est de montrer le groupe à la fois sur scène et sur les réseaux sociaux dans un espace sûr, que tout le monde peut apprécier. Mais cela ne veut pas dire qu'il poste tout et n'importe quoi. Nic trie les informations qu'il veut publier. « Nous publions aussi des choses plus trash, admet-il. Nous commençons par poster quelques paroles poétiques qui sont difficiles à déchiffrer. Cela interpelle les gens, cela les bouscule car ils ne pensaient voir cela. » Quand je lui demande s'il s'inquiète des réactions du public, il me répond : « Garder son public est une chose. L'effrayer en est une autreWolf parle toujours de la bataille constante entre l'art et le divertissement, un sujet qui lui tient très à coeur. En tant qu'artiste, vous devez vous assurez que vous n'êtes pas en train d'aliéner votre public, il doit toujours y avoir une part de divertissement dans ce que vous faites. En même temps, nous ne voulons pas monter sur scène et être simplement des animateurs. Un artiste doit savoir où il va artistiquement parlant. Si on voulait ne faire que des tubes, on le ferait. »

Un membre du personnel du Sunset Sunside vient nous trouver pour nous demander de se déplacer afin de mettre quelques chaises pour le concert de ce soir et le groupe part chercher à manger. Demain, chacun prendra la route (Jimi, qui est aussi DJ, assure un set le lendemain à Londres) avant de se retrouver pour une nouvelle tournée à partir du mois d'octobre. Seul le temps nous dira quelle forme les Ephemerals choisiront de prendre lors de leur prochain passage.

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Écouter : 'Egg Tooth' par Epeheremals (Jalapeno Records/2017)

Translated from No band is an island: a conversation with Ephemerals