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Dormez je le veux ! : un hymne à la transgression domestique

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Le Puy de Babel

Se moquer des ordres de son patron et se jouer de lui comme d’une marionnette, mieux, lui administrer quelques coups de pied au fondement… C’est le fantasme ancillaire par excellence que le valet Justin concrétise sous nos yeux, grâce à d’étranges pouvoirs magnétiques.

Pour la première fois, cette pièce est mise en vis-à-vis du texte grinçant et drôle de Jonathan Swift, Instructions aux domestiques. Le metteur en scène, Lisa Wurmser, décortique pour Le Puy de Babel les ficelles de ces histoires à dormir debout.

Bien loin du trio le mari, la femme, l’amant, classique dans les pièces de Feydeau, Lisa Wurmser a choisi de monter une pièce de Feydeau assez peu connue : Dormez, je le veux. Son intérêt pour cette pièce est double puisque celle-ci mêle les sciences occultes à un couple maître-valet pour le moins étonnant. Le valet, usant d’un étrange ballet hypnotique, réussit à tout obtenir de son maître puisque c’est lui qui s’occupe de toutes les tâches ménagères pendant que le valet boit son vin et fume ses cigares.

Dans un monde petit-bourgeois, la volonté d’un seul homme peut-elle bouleverser l’ordre établi ? La puissance de l’esprit peut-elle suffire pour s’extraire de sa condition et vivre tranquillement dans le confort de son utopie personnelle ? Feydeau est dans cette pièce assez pessimiste, le plaisant jeu du maître téléguidé ne peut durer qu’un temps : la supercherie est découverte, le valet puni et l’ordre bourgeois rétabli.

Mais le jeu sur la dialectique maître-serviteur ne s’arrête pas à la seule pièce de Feydeau. Il est cerné par des extraits d’Instructions aux domestiques de Jonathan Swift, recueil des mille et une recettes du sabotage domestique. Ainsi, pour éviter toute fatigue inutile, Swift propose simplement, après le repas, de jeter la vaisselle du haut de l’escalier de service, ce qui serait du plus bel effet et offrirait un concert d’un genre nouveau pour peu que la vaisselle soit en argent. Les domestiques de Swift sont domestiques à vie, et même au-delà dans la mise en scène de Lisa Wurmser. Aucun moyen d’échapper à sa condition ; la seule solution : saborder le navire bourgeois par tous les moyens.

On notera au milieu de la représentation un petit ajout, « Plaignez le pauvre propriétaire », un monologue de Feydeau mis en musique. Un chœur de bourgeois expliquant la dure réalité de la vie de rentier et la cruelle incompréhension des pauvres. Feydeau, comme on l’entend souvent reste d’une étonnante modernité. Cette complainte du riche n’est pas sans rappeler le buzz internet d’il y a quelques mois Sauvez les traders, le blues des boucs-émissaires incompris.

Les textes sont servis par une mise en scène audacieuse et pétillante de la troupe du théâtre de la Véranda. Les séances d’hypnose, à la mode du temps de Feydeau, ont un poids tout particulier grâce aux jeux de lumière et plongent le spectateur dans les soirées autour du banquet de Mesmer, père du magnétisme animal. La gestuelle de transe de Justin apparaît comme les curieux mouvements du marionnettiste à fils. Ses victimes, transformées en singe ou en danseuse espagnole s’adonnent à des mimiques qui déclenchent l’hilarité générale ou se livrent à un show tout à fait caliente. Enfin, lors du combat final entre les deux magnétiseurs, les chaises s’envolent… avec leur occupant. Loin des représentations bourgeoises et corsetées, les tours de magie, la touche music-hall ont conquis tous les publics et particulièrement les collégiens et lycéens venus en nombre. Lisa Wurmser explique que si ses pièces ne sont pas uniquement construites pour un public jeune, elle lui accorde une attention particulière : il faut que chacun y trouve son compte. Il faut donner aux jeunes le goût du théâtre, de cette ouverture à la culture, car c’est le public de demain.

Habituée du Sémaphore, Lisa Wurmser y fait de régulières apparitions depuis 2000, elle a tenu lors de l’interview à remercier l’équipe et particulièrement le directeur des lieux pour l’accueil chaleureux qui est ici réservé aux artistes. Gageons donc que nous la reverrons bientôt à Cébazat. De jolies découvertes en perspective.