Doris Darling : bitch oh ma bitch
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Qui n’a jamais rêvé d’avoir de la répartie ? A l’orée d’une crise de sens dans nos sociétés a(I)phones, l’art de riposter est peut-être devenu le refuge dans lequel se tapir pour exister enfin. Aujourd’hui, il s’agit de faire mouche à défaut de « les enculer ». Doris Wallis l’a bien compris. Et symbolise dans la pièce de Marianne Groves, Doris Darling, le parfait remède aux verbigérations.
Twitter a ceci de bon qu’il annihile toute incontinence verbale. Pour le meilleur et pour le peer, on peut perdre son temps sur le site de micro-blogging mais jamais trop longtemps puisque les débats s’expriment loin de toutes logorrhées. En 1993, Ben Elton – écrivain, dramaturge et scénariste roastbeaf – ne connaissait évidemment Twittos, l’ami rigolos. 20 ans après, gageons que Ben a eu une vision en écrivant Silly Cow (peau de vache, si l’on veut traduire) dont l’adaptation française est mise en scène par Marianne Groves sous le nom de Doris Darling.
Doris Darling est une pièce de théâtre dont le personnage principal renvoie l’image d’une journaliste starifiée, portée au sommet par son aigreur et sa condescendance. Les gens ont aimé Doris Wallis parce qu’elle fut la seule à ne pas se plier au consensualisme pudibond des critiques qui pour déclarer d’un film qu’il est une daube s’échinent à employer des mots sibyllins en quatorze syllabes. Doris – vipère au poing – tranche de l’intellectualisme ambiant et n’hésite pas à mettre les sabots dans le plat donnant du « salope », « pute » et « turlute ». Mais la franchise du personnage ne saurait s’apprécier qu’à la seule lumière de gros mots. Non, Doris est sagace. Les critiques qu’elle rend compte à voix haute sonnent comme des métaphores diaboliquement pertinentes, parfaitement huilées pour échapper à la formule toute faite comme aux droits de réponse. En clair, la journaliste massacre, « éparpille façon puzzle » et démontre 1h30 durant que son statut de critique, s ‘il est abject, est en tout cas tout à fait justifié.
D’ailleurs, tout le monde se l’arrache. La scène se déroule dans un appartement parisien, ambiance années 80, décor minimaliste et atmosphère « Austin Powers ». Une sorte d’attaché de presse en sandales (François Siener) supplie la journaliste de signer pour un journal allemand tandis que sa secrétaire ultra-coincée (Amélie Etasse) cherche le moyen d’échapper à l’escroquerie. Doris picole, se meut sur stilettos et arbore au fur et à mesure de ses apparitions des tuniques de plus en plus grandioses. Physiquement, le visage de la journaliste est à l’image de sa plume : acérée, peinturlurée, pernicieuse. Une gueule d’aligator qui laisse tout de même place à un corps entretenu (félicitations à Marianne Sergent) : un beau châssis, des seins énormes. Bref, le parfait physique de cougar, quelque part entre Cruella d’Enfer et Anna Wintour.
Vous l’aurez compris, Doris Wallis est une bitch. Et la réussite de la mise en scène de Marianne Groves tient dans le fait de s’appliquer à nous le faire éprouver jusqu’au bout. Allez voir Doris Darling c’est aussi retrouver le goût des dialogues oubliés. Qu’ils fassent jouer la métaphore ou la contrepèterie, les répliques n’ont rien à envier à celles de Michel Audiard ou du père Blier. Cette pièce est un bijou d’écriture salasse que les comédiens ont juste à interpréter pour se retrouver crédibles. Et ça fait franchement du bien. Parce de l’avis de tous au théâtre « on se fait souvent chier, et personne ne le dit. »
Infos pratiques du mardi au samedi à 21h au Théâtre du Petit Saint-Martin. Le dimanche à 16h30. 35euro, 1h45 sans entracte.
Photos © courtoisie du site officiel du Théâtre du Petit Saint-Martin