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DJ Géro, poseur de vinyle

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CultureSociété

Baby losers, les ‘vingtenaires’ ? Souvent décriée, la 'génération 80' recèle pourtant de multiples talents. Dernier volet d'une série de portraits, entre Paris et Berlin.

Environ une heure du matin. Je me trouve devant la façade du Nouveau casino, l’une des scènes musicales parisiennes les plus incontournables du moment. Alors que des groupes de gens s’agglutinent à la porte, Géraud, casquette à visière et tee-shirt bariolé, m’entraîne vers les profondeurs abyssales du lieu.

Sans attendre, notre entretien nocturne se déroule derrière la scène, entre les tasses à café et les canettes de bière, dans la rumeur insistante de ses admirateurs, impatients d’être inscrits sur la liste des invités. Cette nuit, Géraud, jeune homme à la barbe de trois jours, se mue en 'Géro le DJ', célèbre chez les nombreux fans en extase, qui attendent aujourd’hui à l’entrée du club. « C’est le boulot qui veut ça… Cela ramène beaucoup de monde », ironise Géraud, le « poseur de…disques » du moment.

Du business à la musique

Sa carrière débute de façon presque banale. Pendant trois ans, il suit des cours dans une école de commerce parisienne. Mais, le monde des affaires ne l’enthousiasme guère. Voulant mettre ses talents artistiques en valeur, il abandonne le business et entame des études de graphisme.

Nous sommes en 2001, l’année où Radio Nova lance 'le DJ show hypnotique' pour lequel Géraud s’enflamme. Au début, il enregistre des émissions et achète ses propres disques. Puis, il conçoit lui-même son premier mixe. Viendra ensuite la fameuse soirée. Une 'party' de deux cents personnes : « Pour la première fois, je me suis mis à la table de mixage et j’ai commencé à expérimenter toutes sortes de choses. C’était génial ! »

Puis, tout s’est précipité. Abrégeant ses études de graphisme, il investit tout l’argent qu’il a épargné dans des disques et une table de mixage. Dans un premier temps, il joue en indépendant. Le public est surtout 'hip-hop', parfois techno… Inspiré par les groupes de son adolescence, ceux des années 80, parmi lesquels Indra ou Technotronics, il essaie de trouver son propre style, sous l’influence des courants dominants tels que Snap !, Stereo Mcs et Confetti. Les clubs qui le lancent gagnent en notoriété, et effet boomerang oblige, le DJ aussi fait parler de lui. A cette époque, à Belfort, il se produit même devant un parterre de 20 000 fans de techno.

Generation 80 (Blog-Illustration: © Eva John/ Romy Straßenburg)

Morceaux 'home made'

Bien décidé à aller jouer dans la cour des grands, Géraud va devoir montrer ce qu’il a dans les tripes en affinant sa technique et en développant des idées nouvelles. A l’issue de trois ans d’un travail acharné, il se forge la réputation du meilleur DJ de France.

Un bonne aura qui ne lui permet pas, à Londres, d’enthousiasmer le jury d’une compétition internationale, alors qu’il présente ses nouveautés. Parmi elles, le collage de petits morceaux de ruban adhésif grâce auxquels les disques sautent d’eux-mêmes aux endroits voulus ou encore, le 'break beat rythmus' (type de rythmique binaire, ndtr) de sa conception… « Maintenant, c’est du passé. Je ne participe plus à aucune compétition puisque je suis déjà là où je rêvais d’être. On ne passe tout de même pas son bac vingt fois de suite ! »

Cette vie de DJ qui me paraissait si excitante, sans trêve, ni repos, Gero me la décrit pourtant comme tout à fait normale. « Je monte sur scène une fois par semaine et le reste du temps je réalise mes disques. D’un côté je me montre, de l’autre, je n’arrête pas de bosser… » Son succès ne se limite pas au seul à son 'pré carré' parisien.

Les boîtes se l’arrachent à New York, Berlin, Londres ou Pékin. « Les clubs m’invitent. Je suis 'Le DJ' de France. L’argent que je gagne me suffit amplement, je n’ai pas besoin de beaucoup pour vivre. »

Le boulot, préoccupation majeure des jeunes ? Géraud en doute. Comment voit-il l’avenir ? Il aimerait bien fonder une famille et emménager dans un plus grand appartement, mais toujours faire de la musique et le plus longtemps possible. « De toutes façons, je ne sais absolument rien faire d’autre », avoue-t-il.

Rage créatrice

Son ami Pierre vient d’arriver et lui donne une claque amicale sur l’épaule en signe de réconfort : « C’est pour le journal ? » Après quelques commentaires sur la génération des années 80, ils commencent tous les deux à entrer dans des considérations d’ordre philosophiques sur les 20-30 ans…

« Nous, les enfants du baby-boom, on nous a toujours reçu avec des : 'y’a pas de taf pour vous, pas de place dans cette société !' Il a donc bien fallu se débrouiller tout seuls si nous voulions rester debout sur nos deux pieds. C’est ce qu’on a fait : on s’est débrouillé ! Nous avons tout simplement la rage et c’est sûrement ce qui nous rend créatif. »

Fièrement, comme un seul homme, ils me montrent leurs tatouages, entrelacs de lettres noires en pointillés taguant le sigle 'Ter' pour Tacos et Revolvers, gravés en témoignage de leur complicité fraternelle comme pour mieux clamer leur indéfectible solidarité. « Mon désir le plus cher serait de pouvoir réaliser nos rêves. Or, pour moi, pour l’instant, c’est la musique », poursuit Géraud.

Le moment est venu pour 'DJ Géro' d’entrer en scène. Le plaisir rayonnant qui émane de lui se transmet au public. Les danseurs envahissent la piste. Il n’enchaîne pas seulement les disques. Il joue avec eux, les laisse tourner, les scarifie d’un aller-retour d’aiguille puis, brutalement les stoppe. Un coup d’œil sur ses ordis portables, un autre sur la foule en extase, il ajoute : « Quand je pose, je suis… à 200 % moi-même. » Et ainsi surfe le vinyle sous les doigts de son maître.

Encore plus de portraits sur gen80.eu, un blog conçu comme un calendrier de l'Avent virtuel, dynamique, participatif et forcément franco-allemand pour découvrir chaque jour le portrait d'un membre de la génération 80. Pendant un mois, Eva John et Romy Strassenburg, deux jeunes journalistes de 24 ans échangent leurs apparts et leurs villes pour écrire au quotidien les récits de vie, les peurs, les doutes, les rêves... que les jeunes de leur âge ont bien voulu leur raconter. Un projet soutenu par l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ).

Cliquez sur la vidéo pour découvrir DJ Géro en live

Crédit photos : DJ Géro(©Romy Straßenburg); Homepage (©magaliB/istock)

Translated from Vinyl-Wunder