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Discussion en terrain neutre avec Schengen

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Politique

L'année dernière, l'accord de Schengen fêtait son trentième anniversaire. 2015 a aussi été l'année la plus turbulente de son existence. Une raison suffisante pour aller à la rencontre de Schengen, afin de parler ensemble de son passé et son avenir.

Schengen, vous avez eu 30 ans l'année dernière. Le bel âge ! En voyant le double expresso devant vous, peut-on dire que vous êtes encore un peu fatigué des festivités de l'an dernier ?

(Il sourit) C'était sympa. Mais à vrai dire, je n'ai pas vraiment fait la fête, parce que j'étais constamment occupé par des querelles de famille et de voisinage. Malheureuseument, je me retrouvais bien souvent au centre de ces confrontations. Comme vous le savez peut-être, mon travail pour notre famille est d'intérêt central, mais il y a chez nous des représentations bien différentes de la meilleure manière dont les choses devraient aller. Le conflit s'est énormément aggravé au cours de l'année dernière. On m'a fait beaucoup de critiques. Pendant un temps, j'ai même eu peur pour ma vie. Pour être sincère, je n'avais pas vraiment le coeur à la fête.

Désolé d'entendre cela. Lorsque vous êtes né en 1985, votre famille était bien plus petite et personne ne savait vraiment ce qui allait lui arriver...

C'est vous qui le dites. Autrefois, tout était encore assez clair. Je suis né le 14 juin 1985 dans un petit village du Luxembourg qui porte aussi mon nom : Schengen. Ma famille, originaire d'Allemagne, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas, a décidé à l'époque que je devrais m'occuper de la suppression des contrôles de personnes aux frontières de ces pays. Les frontières intra-européennes devaient alors disparaître progressivement.

... ce qui veut dire ?

Que ma famille pouvait se rendre visite plus facilement. Quand vous alliez par exemple de l'Allemagne vers la France, vous n'alliez plus être contrôlé à la frontière.

Et c'est tout ?

Ça paraît plus simple que ça ne l'était ou que ça ne l'est en fait. Pour supprimer ces contrôles aux frontières, il faut dans le même temps adapter les règles de sécurité et de visas. Juste après mon cinquième anniversaire, le 19 juin 1990, on a signé la convention de Schengen, qui fixait mes missions précises : l'uniformisation des règles d'entrée et l'apparition du visa Schengen uniforme, la coopération policière et judiciaire, des mesures contre le trafic de drogues au-delà des frontières et une compétence claire en matière d'asile. C'est avec tout cela que devait être créé un espace homogène de sécurité et de droit.

Vous aviez alors sûrement beaucoup à faire. Pas une mince affaire à un si jeune âge, non ?

Exact. Je manquais alors de savoir-faire technique et juridique. La convention est entrée en vigueur le 1er septembre 1993, mais la mise en application pratique des décisions communes a duré jusqu'à la « mise en vigueur » du 26 mars 1995. Pour la mise en place de banques de données et l'aménagement de la protection des données, mon équipe a eu besoin d'un peu de temps. Les frontières extérieures de l'Union européenne sont alors apparues au premier plan, mais on voulait évidemment aussi que je sois à l'intérieur de l'UE. Grâce au Protocole de Schengen annexé au Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, je suis devenu officiellement membre de l'UE. (sourire de satisfaction)

C'est ainsi que votre famille devait s'agrandir considérablement...

Et comment ! Je ne sais pas si je me souviens de tout. (ses sourcils se rapprochent alors et il tapote son front de son index pendant un moment). C'est bon, je crois que j'ai tout : l'Italie en 1990, l'Espagne et le Portugal en 1991, la Grèce en 1992 et puis l'Autriche en 1995. Le Danemark, la Finlande et la Suède, et - imaginez ça ! - même les pays hors UE, l'Islande et la Norvège, ont voulu participer dès 1996. À partir de 2007 se sont ajoutées la République Tchèque, la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie, la Pologne, Malte, la Hongrie, la Slovénie et la Slovaquie. Puis nous a rejoint finalement le Liechtenstein, lui aussi non-membre de l'UE. La Bulgarie, la Roumanie, Chypre et la Croatie ne sont pas encore des membres à part entière, mais sont sur le point de le devenir.

C'est considérable...

Oui, nous nous sommes considérablement agrandis au cours des dernières années, mais la Grande-Bretagne et l'Irlande n'en font pas partie, par exemple. Nous avons cependant une relation de bon partenariat avec ces pays. Nous travaillons ensemble par exemple pour une collaboration renforcée de la police et de la justice au sein de mon « Système d'Information Schengen », ou, pour faire court : SIS. Ils ne délivrent cependant pas de visa Schengen et continuent de contrôler leurs frontières.

C'est pourquoi nous devons encore nous ranger dans la file des contrôles de passeports quand on arrive dans un aéroport de Londres. Cependant, nous sommes revenus aux contrôles aux frontières à certains endroits. Il se murmure que vous n'êtes plus en mesure d'accomplir correctement vos missions face au nombre croissant de réfugiés.

Alors attendez un peu. Il faut que vous considériez tout cela d'une manière plus nuancée. Ma mission qui consistait à faciliter la mobilité intra-EU allait de pair avec le renforcement des frontières extérieures de l'UE. Comme vous le mentionniez au début, personne ne pouvait deviner à ma naissance comment évolueraient l'Europe, les mouvements migratoires et les foyers de conflits et quelles seraient les influences sur mon travail. La question de savoir comment agir avec ces évolutions et ces défis a mené aux querelles familiales de l'époque que j'ai déjà évoquées. Il faut selon moi rester solidaires et trouver ensemble des solutions durables.

Et qu'envisagez-vous concrètement ?

Vous savez, après 30 ans d'expérience de vie et d'expérience professionnelle, j'ai pris conscience de l'importance de prendre des décisions en solitaire. Il faut réfléchir de manière interdisciplinaire et innovante, c'est-à-dire avec une expertise scientifique, pratique et politique et en prenant en compte la jeune génération.

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Auteur : Natalie Welfens

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Cafébabel publiera dans les semaines à venir, avec le Polis Blog de Polis180 e.V., une série d'articles qui montreront différents regards sur l'espace Schengen et sur la représentation d'une Europe sans frontières.

Translated from Auf ein Gespräch mit Schengen