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Deux Européens sur cinq sont déprimés : « Autrefois on serrait les dents »

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Story by

Katha Kloss

Translation by:

Emilie Dubos

Société

38 % des Européens souffrent de maladies mentales et trop peu sont traités à temps. En 2005, ils n’étaient encore que 27 %. C’est ce qu’indiquent les résultats de la dernière étude paneuropéenne sur les maladies psychiques parue dans la revue scientifique Neuropsychopharmacology. Cette étude se base sur les données de 30 pays. L’Europe est-elle plus déprimée aujourd’hui ?

Sommes-nous, Européens, plus fragiles qu’avant ? Le professeur Frank Jacobi, de l’École Supérieure de Psychologie de Berlin (Psychologische Hochschule Berlin – PHB), qui a collaboré à cette étude, souhaite surtout une chose : dédramatiser !

cafebabel.com : Professeur Jacobi, le moral est-il meilleur dans le sud de l’Europe ?

Frank Jacobi : Nous avons essayé d’éviter les comparaisons régionales du type « les Scandinaves sont plus dépressifs que les Espagnols ». Les différences des études dans chacun des pays viennent peut-être des divers procédés méthodiques utilisés. Il ne faut pas forcément y voir de réelles différences en matière de troubles psychiques comme l’angoisse ou la dépression. Nous n’avons rien trouvé qui montre de nettes différences de prévalence entre les différents pays. Bien sûr il y a des exceptions. Par exemple en ce qui concerne les dépendances dues aux substances psychoactives comme l’alcool. Dans l’est et le nord-est de l’Europe, on observe des taux nettement plus élevés que dans le sud et l’ouest du continent.

cafebabel.com : Le Danemark et le pays le plus heureux du monde et la Lituanie détient le taux de suicides le plus élevé : peut-on raccrocher la dépression à de telles études ?

Frank Jacobi : Les baromètres du bonheur ou études de satisfaction du même type qui sont réalisés sur la base de questionnaires visent d’autres objectifs. Il peut tout à fait y avoir des différences de tempéraments propres aux pays. Mais nous avons ici considéré les troubles psychiques au sens de la classification internationale des maladies ainsi que l’Organisation mondiale de la Santé les a publiées. Si on ne parle pas de sautes d’humeur mais bien de diagnostics réels, il n’y a quasiment pas de différences. En ce qui concerne les taux de suicide, il y en effet de très étonnantes disparités régionales, pour lesquelles aucune explication n’a encore été trouvée. A ce sujet, il faut aussi souligner qu'au cours de ces dernières décennies, les taux de suicide n'ont cessé de diminuer en Europe.

cafebabel.com : Un déclin général du taux de suicide, cela ne contredit-il pas les résultats de l’étude ?

Frank Jacobi : Notre étude ne parle pas d’une augmentation dramatique des troubles psychiques en Europe. Ces derniers ont seulement gagné en visibilité et sont davantage reconnus. Aujourd’hui, les gens qui en sont atteints vont plutôt chez le médecin et reçoivent un diagnostic. Le nombre des traitements, diagnostics et ordonnances a nettement augmenté ces dernières années sans qu’on puisse dire pour autant que les troubles mentaux en général aient augmenté.

cafebabel.com : L’Europe n’est donc pas plus déprimée aujourd’hui qu’il y a 30 ans ?

Frank Jacobi : Non, rien n’indique qu’il y ait eu une forte augmentation des maladies mentales. Mais aujourd’hui nous sommes conscients du poids de la maladie occasionné par ces troubles, qui est souvent susceptible d’engendrer des séquelles et des coûts importants.

cafebabel.com : Pourtant, 38 % des Européens sont malades mentalement : y a-t-il des causes concrètes à cela ?

Frank Jacobi : On devrait être prudent et ne pas déclarer trop vite que les tendances sociales actuelles telles que l’insécurité du monde de la finance ou les angoisses face à l’avenir et au chômage sont les causes de troubles psychiques. C’est trop dramatique. D’une part il faut qu’il y ait une certaine fragilité, d'autre part,  c’est la somme de plusieurs facteurs qui mène généralement un individu à développer un trouble mental. Chaque époque a ses individus fragiles, qui réagissent par des troubles psychiques à un certain stress. Aujourd’hui, ces derniers sont assez reconnus. En Afrique, on trouverait sûrement un moindre poids de la maladie occasionné par des troubles mentaux car là-bas les maladies corporellement transmissibles ont une plus grande importance.

cafebabel.com : Les maladies mentales sont-elles le résultat des sociétés développées postmodernes ?

Frank Jacobi : On peut dire que ces maladies jouent un plus grand rôle dans nos sociétés modernes. Dans les branches professionnelles actuelles, une maladie mentale fait davantage figure d’élément perturbateur. Dans le domaine de la communication ou lors d’un travail émotionnel avec les humains, ces maladies dérangent encore plus. On est aussi plus souvent mis en arrêt maladie qu’il y a trente ans, principalement lorsqu’on a travaillé à la chaîne ou effectué un travail physique. Dans nos nouveaux concepts de travail, les troubles psychiques ont une plus grande importance.

cafebabel.com : L’étude fait-elle ressortir des différences générationnelles ?

Frank Jacobi : Les troubles mentaux concernent chaque génération. Ils font partie de la vie. Les spectres de diagnostics sont cependant variables. Certaines phobies apparaissent dès la jeunesse, tandis que certaines anxiétés généralisées ou dépressions ont lieu plus tard dans la vie. Ce qu’on appelle les effets en cohorte sont aussi importants. Ce qui signifie que des personnes plus jeunes sont plus ouvertes envers les troubles mentaux, alors qu’il y a 40 ans, les personnes du même âge ne prenaient pas même le temps d’y penser et auraient peut-être serré les dents.

cafebabel.com : Pourquoi notre génération serre-t-elle moins les dents ?

Frank Jacobi : On connaît désormais mieux les maladies mentales, et la stigmatisation a reculé. Aujourd’hui, on en sait davantage sur le spectre des maladies mentales. Autrefois on parlait de fous, on pensait alors à la schizophrénie et on n’en avait qu’une vision très réduite. Dans l’ensemble on peut aussi peut-être dire que de nos jours par exemple même les hommes diraient au cours d’entretiens médicaux qu’ils souffrent parfois de symptômes d’angoisse ou de sautes d’humeur.

Photos : Une (cc)♥KatB Photography♥; FJ ©TU Dresden; dépression (cc) peterm2000/ toutes via Flickr

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