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De stagiaire à l'ONU à serveuse : mon histoire dans une lettre au ministère

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SociétéPolitique

Aujourd'hui nous vous présentons Alessia Bottone, une valkyrie qui a suscité le chaos dans les médias italiens après avoir raconté son histoire dans une lettre adressée à la ministre du Travail, Elsa Fornero. Alessia a 26 ans, parle trois langues, elle a étudié dans sept pays, et pour finir a à son actif : un CV de 4 pages et un stage (le plus important) à l'Organisation des Nations Unies.

Et résultat ? Elle est serveuse deux heures par semaine dans un bar (du moins, lorsqu'on l’appelle).

Alessia Bottone est retournée en Italie, à Vérone, il y a sept mois, convaincue d’être prête pour le grand saut dans le monde du travail. Un master 2 en poche, une expérience internationale significative, le stage à l'Organisation des Nations Unies comme cerise sur le gâteau et un CV de 4 pages à envoyer à plus de 200 adresses en ligne. Aujourd'hui, après sept mois passés à servir du café et à refuser d’autres stages inacceptables (dont un en tant que vendeuse, payé 300 euros par mois), elle a repris sa plume et son papier, comme au bon vieux temps de l’école, mais cette fois-ci pour écrire une lettre à la ministre du Travail Elsa Fornero, lettre publiée dans le journal en ligne Affari Italiani.

Le stagiaire, un jeune instable ?

« Les agences d’intérim disent qu'il n'y a rien pour moi, le Centre pour l’emploi soutient que je perds mon temps en Italie, beaucoup me répondent que mon diplôme ne sert à rien, et d'autres disent qu’après avoir tant voyagé, je suis instable. »

Génération précaire : «Stages : travailler oui mais pour gagner sa vie» à lire sur cafebabel.com

Tels sont les mots d’Alessia pour décrire son calvaire. Sa lettre à la ministre contient deux demandes, plus ou moins concrètes et réalisables : la première concerne la mise en place d’une réglementation plus moderne concernant les stages – à l’instar de la France où, après deux mois, le stage est payé de par la loi – et la deuxième vise à rendre leur « dignité » aux jeunes qui ont « cru », tout comme Alessia, qu'une meilleure formation était le premier échelon à gravir pour améliorer leurs conditions de vie. Sinon, et ce sont les mots d’Alessia, « j’aurais bien pu aller travailler comme vendeuse il y a six ans, sans demander à mes parents de se serrer la ceinture pendant des années. »

cafebabel.com : As-tu reçu des réponses à ta lettre à Elsa Fornero ? Quel message lancerais-tu aux dirigeants européens ?

Alessia Bottone : Non, mais ce n'est pas la réponse qui compte, puisque nous savons déjà que leurs paroles transpirent la rhétorique. Si nous continuons à nous faire entendre, les dirigeants européens devront tôt ou tard nous répondre. Mais est-ce qu’il existe un mouvement pour les jeunes chômeurs ? Il y a les Indignados mais il n’y a pas de groupes de jeunes qui disent : « Je refuse ces conditions, je vais de l’avant et je cherche autre chose. » Je ne veux pas expliquer la crise, je veux la raconter. J’en suis le produit, comme beaucoup d'autres jeunes.

cafebabel.com : Quelle a été l’étape après la lettre ?

« Nous sommes diplômés, qualifiés, formés, pour finalement être des laissés-pour-compte du monde du travail. »

Alessia Bottone : Après tous les commentaires et courriels reçus suite à la publication dans Affari Italiani, j’ai eu l’idée de créer un dénominateur commun, un espace où parler ouvertement. Avec la crise, il y a le facteur honte : les gens ont peur de dire ce qu'ils sont en train de vivre, ils ont même peur de le reconnaître eux-mêmes. J'ai donc créé un blog avec d'autres filles – « Du Nord au Sud, parlons-en » –, un exutoire non seulement destiné aux jeunes mais à tout le monde. Ce qui réunit toutes les histoires, c'est le « Je n’y crois plus. » À 25 ou 26 ans, c’est très grave. Les gens n’envoient même plus leur CV parce qu’ils ne reçoivent pas de réponses.

cafebabel.com : Comment pouvons-nous inverser ce processus ?

Alessia Bottone : Après cinq stages, j’attends toujours de commencer à travailler. Les années passent et les opportunités diminuent. Le Centre pour l'emploi m’a récemment contactée pour me proposer encore un autre stage. J'ai refusé. On m'a dit d'accepter parce que je n'avais pas d'autre choix. J'ai alors parlé avec la directrice qui a elle-même décrit le stage comme un « travail au noir déguisé ou une stratégie pour ne pas payer. » C'est une forme légale d’exploitation. Il est difficilement concevable que l'Europe se batte tant pour défendre les droits de l'homme tandis que certains pays européens demandent encore aux jeunes de travailler gratuitement. Je pense que l'État se compose avant tout de nous, les citoyens. À partir du moment où « nous » nous arrêtons, l'État lui-même s’arrête. Nous avons un pouvoir immense mais nous n’en sommes pas conscients. Cette crise nous rassemble et nous pouvons peut-être en tirer un avantage. Pourquoi ne pas dire : « Non. Attention, le gouvernement c'est nous, et nous sommes toujours là pour garder un œil sur vous » ?

cafebabel.com : Quelle est l'origine de cette situation sans perspective ?

Alessia Bottone : On nous a dit d'étudier pour avoir une meilleure vie que nos parents, on nous a dit qu'on devait obtenir un diplôme pour ensuite découvrir que, de un, il ne sert à rien, de deux, on n’est pas qualifiés, et de trois, on est une ressource qu’il faut encore former. Nous sommes diplômés, qualifiés, formés, pour finalement se retrouver laissés-pour-compte du monde du travail. Je suis la fille de ce paradoxe.

cafebabel.com : Quelle est le récit de chômage qui t’a le plus marqué ?

« Moi, après-demain, je pourrai partir en Suisse travailler comme serveuse, mais pour un quinquagénaire, quelles opportunités s’offrent à lui ? »

Alessia Bottone : Celui d'un quarantenaire tenant une agence immobilière. Il a tenté de se suicider. Son épouse ne veut pas que ça se sache car elle a honte et aussi peur que personne ne veuille acheter ses maisons. On voit là le désespoir d'un père. Moi, après-demain, je pourrai encore partir en Suisse travailler comme serveuse, mais pour un quinquagénaire père de 3 filles, quelles opportunités s’offrent à lui ? Qu’invente-t-on pour lui ? 

cafebabel.com : Quelle sera la prochaine étape ?

Alessia Bottone : Ce ne sont pas des histoires dont nous aurions pensé parler un jour. Des cas isolés oui, mais maintenant on vit dans la peur, les gens commencent à souffrir de la crise au niveau psychologique. Grâce au blog je voudrais pouvoir porter en avant un petit projet, ou bien réaliser un document réunissant tous les numéros d’aide, de soutien psychologique, pour ceux qui ont besoin de parler.

Pour entrer directement en contact avec Alessia, vous pouvez écrire à alessiabottone@libero.it

Photo : la Une © cafebabel.com. Vidéo interview d'Elsa Fornero: rainews24/youtube.

Translated from "Da stagista ONU a cameriera: la mia storia per la Fornero"