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Chew : une BD qui fait passer Safran Foer pour une endive

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Story by

Lukas Ley

Translation by:

Default profile picture Marc Vianney Duhamel

CultureSociété

Chew, la BD maintes fois primée de John Layman, vient de sortir en allemand et ce plutôt à point nommé, peu de temps après le scandale du début de l’année lié à la dioxine. L’ouvrage raconte les enquêtes absurdes du policier Tony Chu, sur fond de pandémie planétaire aux vingt millions de morts, rendant la consommation de volaille illégale.

Que ce soit à la lumière des affaires de la mozzarella di Bufala, de la viande avariée ou encore de la maladie de la vache folle, Chew, en Europe aussi, peut parfaitement se lire comme une critique culinaire de nos circuits d’approvisionnement.

Même si le monde dépeint dans la bande dessinée de Layman n’est pas tout à fait le nôtre, comme le souligne la maison d’édition allemande Cross Cult, on comprend vite pourquoi il s’agit d’une lecture du présent. C’est à bon droit que le Tageszeitung le décrit comme la BD du scandale de la dioxine. Son cercle de lecteurs pourrait surtout se recruter au sein des adversaires de l’agriculture chimique ainsi que parmi des critiques de l’industrie de la viande.

Télépathe des aliments

La figure centrale de Chew, le flic mutant et enquêteur spécial Tony Chu, prendrait son pied au milieu des marchés bio. Son don exceptionnel consiste en la capacité de se mettre à la place de sa nourriture et d’éprouver ce qu’elle a vécu avant sa mort. Le clou du succès de la BD réside dans le ressenti du protagoniste : le lecteur voit avec les yeux de Tony lorsque celui-ci mord dans un hamburger, des fruits ou des morceaux de cadavres en décomposition. Tony est « cibopathe », un télépathe de la nourriture. Il peut se permettre de mordre le cœur léger dans un muffin, et même manger de la viande, parce que les marchés bio offrent exclusivement des produits issus de l’agriculture écologique. On peut présumer que la consommation de steaks et saucisses du boucher bio n’entraîne pas d’insoutenables visions d’agonie chez notre héros de BD, et que les fruits sans pesticides n’affectent pas son état de santé psychique. Les aliments bio ont la réputation d’être produits « plus proprement ». Dans Chew on nous le fait comprendre, puisque c’est la betterave rouge qui constitue le gros du régime de Tony. Il échappe ainsi à la moindre parcelle de stress, celui que l’animal pourrait avoir ressenti juste avant sa mise à mort. Au contraire, la betterave rouge est disponible en presque toute saison et préparée facilement à domicile.

Mafia de la volaille

Chew oscille entre critique sociale et satyre répugnante. Les pratiques de Tony, ainsi que la description laconique du boom des pratiques végétariennes et végétaliennes, portent le lecteur à rire. De même que le sort du frère de Tony, ex-présentateur d’une émission TV gastronomique licencié après avoir insulté le gouvernement au cours d’une pause diffusée en direct, ce qui fait naître l’envie d’un humour au critique plus mordant. Mais dans une bonne mesure, le scandale alimentaire est à l’origine de belles trouvailles humoristiques, telle la contrebande de cuisses de poulet à laquelle se livre sans scrupules une mafia de la volaille. D’une grande qualité graphique, les illustrations de morceaux de cadavres et de fluides corporels, se situent entre horreur et gore. Les visions de Tony offrent un reflet clair et expressif des réalités de l'industrie agro-alimentaire aux Etats-Unis d’Amérique. L’univers général de la BD est peuplé de personnes d’une pâleur plus que maladive, quasiment celles des zombies : les survivants de l’épidémie de volaille.

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Sans doute la peur de faire un flop a-t-elle conduit à ne pas simplement montrer la mort des animaux mais aussi des hommes criblés de projectiles, ou amochés par des hachoirs fendant l’air. L'utilisation de ces traits de style fait que la critique voilée de l'industrie alimentaire ou du végétalisme est souvent supplantée par les lois de genre, les effets sanguinolents et un pur et simple sentiment de dégoût.

Le succès de la filière bio est sûrement à interpréter comme une réaction aux nombreux scandales alimentaires du passé. Tout a commencé avec l’encéphalopathie spongiforme bovine, l’ESB. Puis ont suivi la grippe porcine, la grippe aviaire H5N1, le scandale de la mozzarella en Italie, et récemment l'affaire de la dioxine en Allemagne. C’est à bon droit que les consommateurs sont devenus plus critiques et plus vigilants. Les supermarchés s’emploient à rendre ces scandales profitables, et se fabriquent une image plus verte, en offrant œufs de poules élevées en plein air et gamme bio élargie. Cependant, la nourriture des consommateurs leur reste de plus en plus souvent dans la gorge. Chew est bien certainement une critique de la panique aveugle. Mais le scénario d’horreur d’une épidémie d’origine animale est cependant pris au sérieux par des experts, comme dans le livre de Jonathan Safran FoerEating Animals (Faut-il manger des animaux ?). Si Chew est une réponse au scandale de la dioxine on peut aussi y voir une mise en garde quant à la toxicité de la viande des fastfoods, comme l’illustre ce qui s’est passé en France, où un adolescent de 14 ans est mort dans un restaurant franchisé d’Avignon.

Photos: ©chewcomic.blogspot.com/

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Translated from Bio-Gore in CHEW: Comic-Kost mit Biss