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Chassol : accords perdus dans le réel

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BrunchCulture

Dépositaire d’un nouveau genre - l’ultrascore - et quelque part revenu des flammes, c’est peu dire que Christophe Chassol occupe une place à part au sein de la pop française. Le 1er avril dernier, ce musicien de 36 ans a sorti son deuxième projet solo, résultat d’un voyage en Inde et d’harmonie haut-perchées.

Rencontre avec un homme qui harmonise le réel mais qui en sait surtout beaucoup sur la vie.

Qu’on se le dise tout de suite, Chassol fait figure d’oiseau rare dans le landerneau de la pop en France. D’obédience classique, ce Français d’origine martiniquaise de 36 ans est en quelque sorte la caution classieuse d’un courant musical qui cherche encore ses lettres de noblesse dans le fatras des années 80. Aucun problème de temps avec Chassol qui s’efforce de prospecter la musique du côté du monde, du côté de la vie. Une fois qu’il trouve, le musicien sort généralement de beaux disques - deux à ce jour - dont le dernier intitulé Indiamore est le fruit de deux semaines de chassés-croisés en Inde. Et la meilleure chose qui soit arrivé à la pop depuis un bail.

Real player

« J’écoute de la musique indienne depuis mon adolescence. Elle me fascine, avant le pays »

Christophe Chassol reçoit à la Gaîté Lyrique où il a déjà présenté deux fois ses œuvres. S’il est parfois admis qu’apprécier sa musique représente une étape, rencontrer Chassol est aussi simple qu’aller boire un verre à la brasserie du coin. Le trentenaire vous alpague comme un pote, s’enquiert de votre nom puis vous invite à vous asseoir dans un élan de décontraction à rendre revêche le bon vieux Duc. Le cheveu déstructuré et le sourire facile, l’artiste connaît très bien la musique, se livre sans se dévoiler et fait tenir la note jusqu’au moment d’y glisser un bémol. Humainement, ce Chassol est à l’aise et fatalement, rares sont les réponses qui ne tombent sous le coup de l’évidence.

Chassol au-delà de l'indie.

C’est d’ailleurs une raison assez logique qui a emmené notre homme en terre indienne. « J’écoute de la musique indienne depuis mon adolescence. Elle me fascine, avant le pays », affirme-t-il. En repérage courant 2010 puis de manière un peu plus pro l’été dernier, Chassol est parti à Calcutta et à Bénarès enregistrer des musiciens et autres sonorités du réel pour rendre le plus corpulent possible son deuxième projet solo après X-Pianos (2011). Concrètement, le musicien capte sons et images de ce qui constituera l’architecture sonore de l’album. Ensuite ? « C’est mon moment préféré. Je travaille dans mon beau studio que j’ai emménagé chez moi. Je me pose devant mon ordi avec tous mes rushes et je défriche ma matière. »

Dit autrement mais toujours avec ses mots, Chassol « harmonise le réel ». Le résultat sont ces « ultra-scores », sorte de nom pivot-technique qui fait écho aux travaux de Steve Reich ou Hermeto Pasquale sur l’harmonisation du discours. Première punchline : « Harmoniser c’est magnifier, donner un statut plus noble aux choses ». Un klaxon, une voix, un discours d’Obama... Chassol orchestre tout…ce qu’il trouve joli. Humain, humaniste, sans doute de gauche, Christophe n’harmoniserait d’ailleurs pour rien au monde un speech de Nicolas Sarkozy.

Une carrière piano piano

« Glaner les choses et les sublimer grâce à la musique, c’est une super thérapie »

Bien des aspects du personnage pourraient contribuer à expliquer ce don à l’harmonie. On le dit tantôt méticuleux dans le travail d’orchestration, de mastering « qui l’emmerde » tantôt maniaque dans sa manière de se mettre au travail - « dans mon ordi, faut que ce soit clean, nickel avec les trucs bien organisés ». Il aurait aussi cette fameuse oreille absolue - « bien pratique mais pas un super pouvoir » - qui lui permet de donner des notes à tout ce qui sonnent, comme à cette espèce de tondeuse en bruit de fond pendant l’interview. « C’est un mi », dit-il, malin. Malgré tout ça et comme souvent avec les talents qui bourgeonnent, il faut chercher l’explication à la racine.

Sur la photo : Christophe Chassol et Bertrand Burgalat.

« Harmoniser c’est magnifier, donner un statut plus noble aux choses »

Quatre après sa naissance à Paris, en 1976, Christophe-Thomas Chassol est inscrit par son père, clarinettiste et saxophoniste amateur, au Conservatoire. Deux ans après, il commence le piano. Très marqué par la musique classique et le jazz, Chassol vire punk à la fin du collège : « j’avais les ourlets, la veste Harrington, les rangeots et j’étais rasé sur les côtés. J’écoutais The Exploited, les Sex Pistols, les Clash. Rude boy quoi ! » confie-t-il, mort de rire. Si la phase « No Future » ne dure qu’un soupir, le jazz restera le grand paradigme de l’artiste qui commence à faire ses trucs à la sortie de l’adolescence. Le black kid aux faux airs de Jean-Michel Basquiat monte un orchestre de 24 musiciens, noircit des carnets de partitions puis gagne sa vie en travaillant pour le cinéma. « J’ai fait un tas de trucs différents, arrangeur pour de la comédie (Les Dix Commandements, ndlr), de l’habillage de chaine, du boulot de copiste, un métier qui n’existe plus. » Animé d’ « une bonne confiance » en lui et muni d’un diplôme du Berklee college of music obtenu en 2002, Christophe s’embarque sur la route avec Phoenix ou Sébastien Tellier. Deux tournées dont il garde de « supers bons souvenirs ». Mais c’est quelques années plus tard que sa carrière connaît un tournant, lors de la rencontre avec Bertrand Burgalat, spadassin de la French touch et patron du label-qualité, Tricatel. « J’ai tout de suite senti qu’on avait plein de points communs et un goût prononcé pour un certain esthétisme. » Les deux larrons s’accordent jusqu’à la syntonie : Chassol signe chez Tricatel et sort X-pianos.

A chœur ouvert

Lire aussi sur cafebabel.com : « Burgalat : cosmique, Bertrand »

Le premier album de l’impétrant est en fait une compilation de ses travaux étalés sur 15 ans (de 1996 à 2011). Forcément réaliste, X-Pianos contient des morceaux inspirés des choses de la vie. Comme la mort de ses parents dans un accident d’avion en 2005 qui fomentera le titre « Les Oursses ». A c(h)œur ouvert, Chassol se livre sans sourciller : « J’ai surmonté ce drame grâce à la musique. Je trouve la vie et la réalité fantastique. Glaner les choses et les sublimer grâce à la musique, c’est une super thérapie. Je me suis dit que j’allais utiliser cette douleur dans mon travail et faire de supers belles pièces. »

La complexité qui peut s’emparer de l’écoute de X-Pianos et d’Indiamore, au premier abord, n’a d’égal que l’enthousiasme avec lequel la critique s’est entichée de Chassol. Les mots « génie », « somptueux » et « merveilleux » reviennent souvent sous le stylo des plumitifs. L’intéressé, lui, trouve ça « étrange » mais admet cependant avoir « toujours vachement cru en ces trucs ». Quant à la complexité, elle est tout d’abord assumée - « je n’ai pas spécialement envie de plaire au plus grand nombre » - puis feinte comme contrefaite par l’insolente simplicité du personnage. Une anecdote. En 2000, son appartement de Belleville brûle emportant dans les flammes 500 disques et 8 ans d’écriture. Qu’est-ce qu’a fait notre homme ? « Le lendemain, j’étais en train de faire un tennis et je suis allé à la piscine. C’était tabula rasa et c’est tant mieux. » Et si c’était ça finalement, le génie  ?

Photos : Une © courtoisie de Ivox music  courtoisie de la page Facebook officielle de Chassol ; Vidéos : Indiamore et Russian Kidz (cc) TricatelVision/YouTube 

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.