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Charlie Hebdo et l'Italie : le bal des hypocrites

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Cécile Vergnat

Société

[OPINION] L’Italie a rendu un vibrant hommage à Charlie Hebdo, en se ruant sur tous les kiosques du Beau Pays pour brandir son journal vert comme une pancarte. La vérité, c'est que les Italiens ne sont pas à l'aise avec la satire et qu'il faudra bien plus qu'une couverture de Charlie pour qu'ils comprennent la liberté d'expression.

« Nous sommes tous Charlie Hebdo, pour la France, pas ici, il ne manquerait plus que ça. » Une phrase entendue par hasard, qui, en quelques mots, traduit la pensée qui me passe par la tête depuis une semaine. Une semaine abondante à vrai dire, depuis que les sentiments ont laissé place à la raison. Mercredi 14 janvier, 260 000 italiens ont sauté du lit et se sont rendus chez le marchand de journaux pour acheter un exemplaire de Charlie Hebdo. Certains l’ont mis sous le bras ou dans leur sac, avec soin, pour laisser dépasser cette feuille verte qui suffit à faire comprendre au monde entier qu’ils sont partisans de la liberté d’expression. 

La dure vie de la satire

On en vient à se demander où étaient ces mêmes personnes lorsque l’Italie cherchait petit à petit (et y arrivait plus ou moins) à  faire taire les acteurs, les comiques et les journalistes. Avec toute cette solidarité, on en vient à se demander où regardent les Italiens lorsqu’ils passent tranquillement devant le marchand de journaux et les exemplaire de Male ou de Vernacoliere (deux périodiques satiriques, ndlr). Le journal livournais Vernacoliere accompagne désormais notre petit-déjeuner avec ces dénonciations. Il cible notamment l’incitation à la haine raciale, l’offense à la religion catholique et l’outrage au pape. Il ne roule en outre pas sur l’or.

Charlie Hebdo était dans le même état. N’interprétez pas mal. En ce qui me concerne « être Charlie » ne signifie pas s’identifier à chaque rédacteur de l’hebdomadaire satirique et encore moins à partager tous leurs choix : ça signifie plutôt être contre toute censure (surtout celle qui prend la forme d’un kalashnikov) et contre toute imposition provenant du haut, d’on ne sait quelle chaire. Combattre ceux qui t’empêchent de parler. Autrement dit, être libre.

Et oui, être libre. L’Italie est au 49ème rang du classement de Reporters Sans Frontières consacré à la liberté de la presse dans le monde. Après la Namibie, le Ghana et le Botswana, pour ne citer que quelques pays qui précèdent l’Italie. Elle est tout de même remontée de 8 places. Et la France est 39ème mais ça ne me semble pas être une justification. Nous nous faisons beaux, nous descendons dans la rue pour les batailles des autres jusqu’à en oublier la nôtre. La liberté d’expression nous devons la gagner au-delà des Alpes, chez nous.

Maintenant que deux semaines se sont écoulées, maintenant que #JeSuisCharlie a disparu des « Tendances » de Twitter pour laisser place aux sujets nationaux, le moment est venu de démontrer que nous nous mobilisons. Sinon, de ces files d’attente à l’aube pour acheter un exemplaire de Charlie Hebdo, il ne restera que le papier, poussiéreux, oublié dans un tiroir sale de notre esprit. Ou alors, comme le voudrait la meilleure des traditions, nous pourrions toujours utiliser ces feuilles pour envelopper le poisson. Les journaux ne servent-ils pas finalement à cela ? Nous devons maintenant trouver le courage de dire que nous n’en pouvons plus et que nous ne voulons plus être ceux à qui on demande lors de réunions internationales autour d’une table « chez vous on parle plus d’autocensure que de censure non ? ». Parce que pour le reste du monde, les Italiens (surtout les journalistes) sont ceux qui , dans le doute, s'abstiennent.

« Nous sommes pour la liberté d'expression mais... »

Dans tout ce remue-ménage national et international, entre une Le Pen et un Salvani (leader du parti d'extreme droite, la Ligue du Nord, ndlr) le quotidien Corriere della Sera n’a rien trouvé de mieux que de faire publier un livre de plus de 300 pages avec des bandes dessinées de ces artistes qui ont voulu dire (ou plutôt dessiner) quelque chose sur les évènements des 7, 8, et 9 janvier. Ont-ils été contactés ? Leur a-t-on demandé leur permission ? Non. Tout du moins pas à tout le monde. Ont-ils été payés ? Même pas, mais ça pourrait être le dernier des problèmes puisque l’éditeur s’est dit « disponible envers les ayants droits qu’il n’est pas parvenu à trouver. » Ces vignettes, fruit d’une réflexion personnelle, ont été publiées à l’insu des auteurs. C’est pourtant une autre chose qui m’a le plus touchée : le Corriere della Sera, dans son Crayons pour la défense de la liberté de la presse, a également décidé de reproduire quelques vignettes de Charlie Hebdo mais en excluant celles « offensives pour la religion ».  Nous sommes donc revenus au point de départ. La leçon est là devant nous, écrite au tableau. Certains la porte à la main, sous forme d’un simple crayon, ou bien sur la poitrine, où elle prend l’apparence d’une feuille de papier. D’autres réussissent à la voir lorsqu’ils accèdent à leur profil sur les réseaux sociaux : peu importe qu’il s’agisse de Facebook, Twitter ou Instagram. Tout le monde la voit, mais nous, nous ne réussissons pas à la lire, à la comprendre, et encore moins à l’assimiler.

Je crois les entendre les cinq dessinateurs de Charlie, de là-haut, admettre que « c’est dur d’être aimé par des cons ». Une phrase bien ciblée, il n’y a rien à redire. « Et c’est vrai, écrit Fancesco Merlo sur le quotidien Repubblica, nous devons leur faire comprendre que nous n’arrêterons pas d’un millimètre, que nous défendrons jusqu’au bout (jusqu’à la mort) notre droit à la liberté d’expression. »

Saut quand il s'agit de religion, de politique ou de la maman du Pape.

Translated from Charlie, l'Italia e le lezioni di lotta per la libertà