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Carme Riera: “le Catalan n'en a plus pour longtemps”

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Culture

En visite à Lisbonne pour une exposition en son honneur pendant la semaine de la culture des iles Baléares, BeBalears, l'écrivain Carme Riera nous parle de son rapport aux lecteurs, de pilote tête en l'air et de son amour de la culture catalane.

En ce premier mars, Lisbonne accueille l'exposition culturelle des îles Baléares, organisée par l'association CatalunyApresenta et présentée pour la deuxième fois dans une capitale européenne. Je me faufile facilement dans une sale comble de l'Université Classique de Lisbonne, remplie de spectateurs venus assister à la conférence d'une écrivaine majorquine dont les œuvres ont été récemment traduites en Portugais. En l'écoutant, je me perds dans ses paroles en Catalan et son regard profond me fascine autant que son nouveau public.

 Liberté au lecteur !

« Je n'ai pas le courage de relire mes textes » avoue Carme Riera. Parfois, elle ne se rappelle pas même les personnages qui traversent tel ou tel extrait, ni les personnalités qui y sont présentes. Pour Carme, un écrivain écrit, même beaucoup, mais chaque mot relâché sur sa feuille devient la propriété totale du lecteur. « Le lecteur doit être le propriétaire du livre ! ». Il est donc impossible de choisir ses lecteurs et, parfois, il est même impossible d'imaginer qui peut bien lire et être intéressé par la production d'un écrivain. D'ailleurs, il lui est arrivé une fois de ne pas vraiment apprécier l'enthousiasme d'un de ses lecteurs : « C'est arrivé une fois seulement! », se rappelle-t-elle, un sourire aux lèvres. Pendant un vol de ligne, le pilote l'appele dans sa cabine et lui demande un autographe : il était en train de lire Dins el darrer blau. Par peur de tomber dans le vide, elle chercha à le convaincre d'arrêter de lire et de reprendre les commandes jusqu’à ce que, hilare, le pilote lui explique qu'un avion vole seul et que le pilote fait bien peu ! Un peu comme un écrivain qui propulse ses textes puis plane dans le vide, dans l'attente de reprendre les commandes et d'atterrir en direction de son public.

Panorama avec vue sur Montjuc

Catalogne me voilà

« J'ai commencé à écrire très jeune, mais aujourd'hui encore je dois me corriger », dit-elle en souriant. Pendant son enfance, écrire en Catalan était difficile. Ce n'est qu'à 16 ans qu'elle a commencé à composer ses premiers feuillets dans la langue dans laquelle sa grand-mère lui racontait des histoires, celle avec laquelle elle parlait avec ses amis et sa famille, grâce à un professeur. Les études de lettres lui furent quasiment imposées, puisqu'à l'époque c'était à peu près la seule voie ouverte aux jeunes filles de son âge. Aujourd'hui, elle est récompensée. Carme regarde son livre et l'effleure, plongée dans ses souvenirs  : « Mon rêve était de devenir médecin! ». C'est ainsi qu'elle a débarqué à Barcelone, à 18 ans. Elle y étudie la philologie espagnole à l'Université Autonome, où l'enseignement du Catalan est réduit à un seul module, comme toute autre langue étrangère. Elle décide alors d'étudier le Portugais et entre pour la première fois en contact avec un pays qu'elle tient en haute estime aujourd'hui : « Lisbonne est magnifique! J'adore les Portugais, leurs bonnes manières et leur cordialité ».

« Le Catalan n'en a plus pour longtemps »

Un symbole de la culture régionale« Le Catalan n'en a plus pour longtemps! » affirme Carme, un peu agitée. Si ce n'était pas le cas, il n'y aurait pas une telle nécessité de défendre une langue, et avec elle une culture. La pression de langue écrites plus fortes, comme l'Anglais ou le Castillan, lui fait craindre une douce et lente mort de sa langue maternelle, une langue riche de traditions et de variantes quasiment inconnues. L'image du Catalan provincial, ne parlant que Catalan, haïssant le Castillan, essentiellement fermé, est fausse. Les gens sont sociables et ouverts, il suffit d'apprendre à connaître et découvrir ce peuple, entre passé et présent. Aujourd'hui, la langue n'est plus un élément identitaire fondamental, mais pour la génération de l’écrivain, ce fût longtemps l'objet d'une lutte contre l'interdiction d'étudier sa propre langue. Le Catalan a été un bouclier contre les revendications franquistes. Aujourd'hui, la langue est enseignée, ce n'est plus la même chose : « À mon âge, on parlait Castillan dans la classe et Catalan dans la cour. Aujourd'hui, c'est l'inverse! » conclut-elle, tout en trempant les lèvres dans son verre de Porto.

Soutenir les cultures fragiles

CatalunyApresenta a pour objectif de faire connaitre aux Européens un archipel encore peu connu, bien que très couru par les touristes. Cette exposition explore la richesse culturelle des iles Baléares et des pays catalans dans leur ensemble. Dans cette Europe interconnectée, « il faudrait faire plus de place à l'inconnu », aux langues et cultures plus faibles, celles qui ont besoin de soutient. « Beaucoup de mes étudiants Erasmus par exemple sont stupéfaits lors de leur premier contact linguistique avec la réalité catalane. » Certains savent à peine que le Catalan existe, d'autres pensent que le Castillan suffit pour vivre et visiter la région. Les réactions à ce contact avec une nouvelle langue semblent positives selon Carme: « la plupart des étudiants étrangers, surtout ceux venus des pays voisins tels que l'Italie, le Portugal ou la France, ou des pays de l'est, finissent par parler les deux langues. C'est un privilège! ». D'après l'écrivain, chaque langue est associée à une certaine vision du monde. L'Espagne, avec ses quatre langues officielles – parmi d'autres – est loin d'être mal lotie en terme de diversité de regards sur le monde.

Photo: Pelòdia/flickr, Alexandra Guerson/flickr

Translated from Carme Riera: «il catalano ha i giorni contati»