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Caricatures d'El Jueves : « Saisir le journal est grotesque »

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Jane Mery

Entretien avec Oscar Nebreda, éditeur du magazine satirique espagnol El Jueves, retiré des kiosques le 18 juillet dernier, pour avoir caricaturé le couple princier en plein ébat sexuel

« Outrage à la famille royale ». Dans la péninsule ibérique, on ne plaisante pas avec le crime de lèse majesté. L’hebdomadaire satirique El Jueves qui a publié la semaine dernière une couverture représentant Felipe et Letizia en pleine levrette royale, en fait aujourd’hui l’amère expérience. Censée brocarder la politique nataliste du gouvernement Zapatero, qui a récemment proposé une prime de 2 500 euros par enfant né, cette caricature pourrait coûter cher cher au dessinateur et scénariste : jusqu’à deux ans de prison.

Comment allez-vous ?

Bien ! Tout cela est très amusant. Jamais on ne nous avait fait un coup pareil, enfin si, une fois, voilà 28 ans. Mais c’était juste après la mort de Franco, quand l’Espagne était encore dans ce qu’on appelle « la période de transition ». Maintenant nous sommes en démocratie, et saisir le journal, comme l’a fait ce juge, est une décision démesurée et grotesque.

Beaucoup la trouvent aussi inutile...

Le juge ne doit pas bien connaître les médias d’aujourd’hui. Parce qu’il aurait également dû saisir tous les journaux qui ont repris le dessin dans leurs pages, sans compter les sites Internet. Il a fermé le nôtre, alors que des centaines d’autres sites ont pu afficher la caricature. Ce n’est pas seulement inutile, c’est contre-productif : des millions de personnes connaissent le dessin maintenant. Mais pourquoi diable les juges nous courent après ? Ils devraient avoir assez affaire avec les terroristes ! 

Peut-on parler d’un retour au franquisme ?

Cela me rappelle de mauvais souvenirs… Dans les années 70, j’avais lancé les revues El papus et Barrabás, des équivalents de Hara-kiri. J’ai été convoqué à 66 procès. Pour infirmité, inaptitude au métier, j’en passe et des meilleures ! J’ai vécu quatre mois loin de chez moi et échappé de justesse à un attentat. Mais c’était le jeu, dans ces années sombres. On n’en est pas là aujourd’hui mais je dois me pincer pour croire qu’on est en 2007 !

Comment allez-vous organiser votre défense ?

Manel Fontdevila (le scénariste) et Guillermo (le dessinateur), sont accusés d’injure à la Couronne. Nous voulons simplement démontrer que nous travaillons dans un esprit « animus iocandi » et non « injuriandi ». Le bouffon est notre emblème, c’est notre rôle. Et puis, la famille royale n’est pas à l’origine de la plainte : ce doit être l’un de leurs secrétaires ou conseillers. Le roi avoue nous lire en vacances et d’autres membres de la Casa Real nous demandent même des caricatures ! Nous comptons aussi sur nos lecteurs, qui nous envoient des lettres de soutien par centaines, et sur l’opinion publique … El jueves existe depuis 30 ans, c’est le huitième journal du pays. Nous ne nous arrêterons pas à ça.

Mais une forme d’autocensure ne risque t-elle pas de s’installer ? Déjà les journaux télévisés floutent le dessin...

La famille royale est devenue taboue ? Soit, nous nous acharnerons encore plus sur elle. Cette semaine, notre couverture représente le prince Felipe en abeille venant butiner la fleur Letizia : c’est ainsi que se reproduisent les rois !

[NDLR : Le parquet espagnol a maintenu l'accusation contre les auteurs du dessin figurant le prince Felipe et son épouse en plein ébat sexuel, mais il ne réclame qu'une simple amende au lieu d'une peine de prison.]

Cet article a été publié une première fois le 27 juillet 2007.

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