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Cafés-laveries : culture de soi(e) en Europe

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SociétéStyle de vie

Laver son linge sale en public tout en dégustant un café, avant d'assister à un concert d'électro... Alors que la génération MySpace et Facebook met en scène sa vie privée sur Internet, les espaces urbains visent désormais à reproduire cette aspiration. Berlin, Hambourg, Paris ou Copenhague, toute grande ville européenne qui se respecte propose de nouveaux espaces qui mélangent bar, librairie...

Et laverie ! Tour d'horizon de ces nouveaux bars qui moussent.

La génération facebook veut publiciser sa vie privée, jusqu'au linge sale  Berlin, Prenzlauer Berg. « Mangelwirtschaft » (l’économie du manque) : c’est ainsi que s’appelle un des bar-cafés hybrides, en référence au manque de linge dans l’ancienne RDA. « 50% bar, 50% laverie », indique la pancarte au-dessus de la porte. La première salle du bar, décorée dans les tons rouges, offre une atmosphère cosy de petit restaurant. Le visiteur peut y déguster un café au lait mousseux ou des friandises, papoter avec des amis, surfer sur internet grâce au wifi ou bouquiner. Encore mieux : le Mangelwirtschaft propose également un programme culturel : le local peut être utilisé comme salle de concert ou de conférence.

Le concept de multifonctionnalité, qui consiste à ajouter une laverie à un café, est déjà en passe de devenir un classique. Et il a fait des émules : à la manière du Mangelwirtschaft, on trouve par exemple la Laundrette à Hambourg. Là-bas, les happy hours s’appellent « essorage » et on peut également y regarder des retransmissions de matchs de foot.

La Cleanicum de Cologne est un magasin de vêtement de sport qui met vingt machines à laver à disposition dans l’arrière boutique, ainsi que des canapés idéaux pour spectateur qui regarde les films de snowboard projetés sur le mur ou pour celui qui veut prendre un café ou grignoter un peu. Bien entendu, le client peut également aller sur Internet à partir de son propre ordinateur grâce au wifi ou aller faire un tour dans le concept-store « Street and Boardwear » accolé à la laverie.

Linge sale à Copenhague et à Paris

« Est-ce que ça vaut la peine de vivre quand personne ne regarde ?» a récemment titré un journaliste dans la Gazette de Montréal

A côté, le Laundromat de Copenhague, avec son café stylé, sa laverie, sa librairie proposant plus de 4 000 magazines et son atmosphère cosy, est bien plus traditionnel. Des jeux de dames mis à disposition des clients jouxtent la classique connexion internet. Le LG-Waschbar de Paris pousse le concept à l’extrême : le client peut y tester gratuitement des machines à laver du fabricant LG. L’animation house et électro est confiée à un DJ, et il est possible d’acheter des boissons répondant au doux nom de « lingette » ou « savonnade » au bar.

Ici aussi on peut surfer sur Internet ou regarder des films dans le « lounge » - sur un écran plat LG - cela va sans dire ! - dans une pièce à part baptisée le « bureau ». Se détendre ou faire les boutiques pendant que le linge se lave : joindre l’utile à l’agréable en quelque sorte.

Pas de toute, on trouve principalement ces laveries-bars dans les quartiers branchés, en proie au phénomène de gentrification. Nous autres, jeunes européens cultivés, nous voulons faire bonne figure, mais nous expédions les tâches ménagères, et cela doit se faire si possible sans douleur ! L’étalage de la vie privée, la mise en scène de l’intimité est pour nous un moyen de revendiquer notre réseau social virtuel. On met des photos sur Facebook qui, comme nous préviennent nos parents, risquent de nous coûter notre boulot, et Twitter est pour ainsi dire une foire aux déclarations d’amour. Du coup, personne ne trouve choquant de voir des gens trier leurs culottes sales dans un bar tendance et tout ce qu’il y a de plus propre. « Est-ce que ça vaut la peine de vivre quand personne ne regarde ?» a récemment titré un journaliste dans La Gazette de Montréal, en mettant la philosophie d’une génération toute entière sur la table.

Un salon commercial

Intérieur cosy d'une laverie danoise

La sphère publique se distingue de moins en moins de la sphère privée, et cela non seulement sur le net, mais aussi au quotidien, dans les rues des grandes villes comme dans l’ensemble des structures sociales. En 1990, Le philosophe urbain Ray Oldenburg décrivait déjà ce phénomène dans son livre The Great Good Place. Il la définit comme un refuge, dans lequel les gens peuvent échapper à la zone d’influence de la famille et de l’entreprise.

Aujourd’hui, ce concept est connu sous le nom de « being spaces ». La restauration et le divertissement ne sont pas l’attraction principale car ce nouvel espace offre bien plus : il permet de se sentir et de se comporter comme chez soi. Des activités telles que lire un libre, surfer sur internet et même laver son linge deviennent possibles dans les bars et les cafés.

L’agence londonienne Trendwatching nomme cette tendance à l’exhibition de l’espace privé « salon commercial ». Selon l’agence, un élément important a fait son apparition depuis les années 1990 : le « branding ». Il est évident que l’entreprise d’électronique LG utilise son bar-laverie parisien comme instrument pour renforcer son image de marque et que le concept-store Cleanicum de Cologne diffuse des films sur les sports d’hiver en vue d’augmenter ses ventes. La mise à disposition d’oasis pratiques, chaleureuses et décorées avec soin dans un quotidien stressant attirent la sympathie pour le gérant.

La tendance qui consiste à vivre notre intimité en dehors de notre salon est un phénomène volontaire, mais elle témoigne cependant d’un aspect de la société : le citadin moderne semble vouloir se différencier à tout prix. Il veut s’exposer ! L’artiste, l’assistant de production, le barman se rend avec plaisir dans ces librairies-cafés, et quand on y trouve aussi une salle de concert ou une laverie, il se sent alors en parfaite harmonie avec ses identités multiples, hétérogènes et profondément tolérantes... Son moi intérieur ne s’en ressent que mieux ! Signe que l’Europe, plus qu'une simple construction politique, devient une part entière de notre identité. A travers les cafés-laveries, c'est un pan de la nouvelle culture européenne qui s'immisce dans notre sphère intérieure. Et vous votre identité européenne, vous la préférez lavée, essorée, ou bien les deux ?

Pour s'y rendre :Mangelwirtschaft Paul-Robeson-Str. 4210439, Berlin - Prenzlauer Berg

Laundrette: Ottenser Hauptstraße 56, 22765 Hambourg

Cleanicum : Brüsseler Straße 74, 50672 Cologne

The Laundromat Café: Elmegade 15, 2200 Copenhague

WashBar by LG : 65 boulevard de la Villette, Paris

Photo : ©fast eddie 42/flickr

Translated from Gehirnwäsche in Europas Waschsalons