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Bertrand Burgalat : « C’est con mais un musicien, ça s’apprend »

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La Parisienne

En 2010 il pensait arrêter la musique. Deux ans plus tard Bertrand Burgalat revient avec ce qui pourrait être son meilleur disque, Toutes Directions. Pour lui, un voyage sans retour, à 48 ans. Pour moi, un aller simple vers la Lune, en 48h. Rencontre au carrefour de la pop française, chez lui, à Tricatel. Et on y parle pêle-mêle French Touch, Karl Lagerfeld, Thénardier, Rock&Folk et Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce.

cafebabel.com : Es-tu content de l’album ?

Bertrand Burgalat : Oui. Je suis très content. Il ne faut pas dire ça parce que d’abord ça peut faire prétentieux et tout. Mais je suis content d’être allé au bout, d’avoir l’impression d‘avancer, de ne pas faire exactement ce que je fais d’habitude. Je suis content sur le fond et sur la forme.

cafebabel.com : Il constitue une étape particulière ?

Bertrand Burgalat : Je ne pense pas en tant que carrière, simplement je trouve que ça n’a pas de sens de faire un disque s’il n’apporte pas quelque chose de différent de ce qu’on a fait. Il y a des gens, qui ont un public : tous les ans par exemple, il y a des livres d‘Amélie Nothomb. Moi, je ne suis pas dans ce cas-là. J’ai d’autres équations en fait. Mais c’est pas mal ! Cela m’oblige à me botter le cul. Je ne peux pas avoir de certitudes.

cafebabel.com : Qu’est-ce qui fait vraiment la différence avec les disques précédents ?

Bertrand Burgalat : Je n’ai pas enregistré pareil parce que c’est le premier disque que j’ai enregistré de façon presque normale en studio. Souvent, je fais des prises dans des endroits qui ne sont pas vraiment pour ça. Je mettais des instruments dans des pièces qui ne sont pas traitées. Donc, il y a ce côté pratique. Puis après, je pense aussi que je suis plus nerveux, plus concis. J’essaie de voir. Je pense que c’est plus direct dans les textes. Finalement, je pense que c’est un peu moins abstrait.  Vu de l’intérieur hein. Peut-être que pour quelqu’un qui l’écoute ce ne sera pas pareil. En tout cas, j’ai l’impression d’avoir évolué dans ce domaine-là et de m’exprimer désormais d’une façon plus claire, plus directe.

cafebabel.com : Nous, en fait, on a fait le chemin inverse. Je m’explique, on ne te connaissait pas et on t’as appris par ce disque. Le premier truc que j’ai remarqué, pour traiter de la différence avec The Ssssound of Music, Portrait-Robot et Chéri BB, c’est la voix. Dans Toutes Directions, tu accordes une place beaucoup plus importante à la voix.

Bertrand Burgalat : Oui car j’ai beaucoup plus confiance aujourd’hui. J’ai enregistré les voix, je me suis installé dans le studio et je me suis dit « allez ok tu fais la voix d’un coup ». Après je suis un peu revenu dessus. Genre un matin je me lève et j’avais la voix super grave, je me suis dis « tiens c’est super cool, tu vas tout refaire et tu vas enregistrer un truc à la Barry White ». Donc je le fais. Et je réécoute en fin de journée. Putain, c’était épouvantable alors que j’avais passé une demi-journée à tout rechanter. En fait, je fais des prises de façon très spontanée mais c’est vrai que c’est une question de confiance, un truc psychologique. Et c’est en ça que je ne me considère pas comme un chanteur. J’essaie de chanter comme je parle, si tu veux.

cafebabel.com : T’as fait un travail sur la voix non ?

 Bertrand Burgalat : Non c’est à dire que je suis plutôt revenu à ce que je faisais sur The Sound of music. Avant, j’ai toujours fait des voix sur les disques des autres mais plutôt des chœurs à la Beach Boys. Mais dès que l’on en revenait à moi, je me posais des questions. Et plus je me posais des questions, plus je perdais confiance en ma voix. La seule chose qui a changé c’est ça : ne pas me poser de questions. De chanter comme je parlerais. C’est vrai aussi que j’ai commencé à enregistrer des textes au moment où, selon moi, la technique et la sensibilité coïncidait plus chez les chanteurs. Dans les années 90, soit il y avait des chanteurs à voix – qui hurlaient,  c’était ignoble – soit il y avait des gens qui chantaient avec beaucoup de sensibilité mais au détriment de la technique. Je préférais quand même ceux-là aux hurleurs. Et je pense que l’on est quand même aujourd’hui dans un période où les deux coïncident mieux. Les gens jazzifient moins. Mais il y a dix ans, c’était horrible. Les gens attaquaient toujours en jazzifiant, en foutant toujours des vagues dans leurs trucs. Donc j’étais dans cette opposition et mêmes les autres artistes du label, comme April March par exemple, je les signais parce qu’ils étaient en dehors de ça. Maintenant, je trouve qu’on trouve plus des gens qui chantent justes et bien et qui n’en font pas des caisses.

cafebabel.com : Et c’est ça qui t’intéresse ?

Bertrand Burgalat : Ouais parce que plus c’est démonstratif, plus ça se fait au détriment de l’émotion. Et je trouve que c’est beaucoup plus difficile de chanter doucement que de chanter fort. D’être juste et tout ça quand on chuchote, ce n’est pas facile. Je trouve ça techniquement plus compliqué et je n’aime pas ma voix quand je chante fort.

cafebabel.com : Dans ton premier album, il y a beaucoup plus de parties instrumentales et dans Toutes Directions les morceaux sont très fournis au niveau du texte …

Bertrand Burgalat : Pour moi, The Sssssound of music, c’était un prototype où le message était beaucoup plus abstrait. C’était important de faire ce disque mais justement une fois que c’était fait – une espèce d’essai comme ça, à la fois triste et solaire – je pouvais passer à autre chose quoi. Dès l’album suivant, je n’étais pas du tout dans le même état d’esprit et ainsi de suite. Après un disque comme Toutes Directions, je peux être sûr d’une chose : ça ne m’emballerai pas de faire la même chose. J’essaierai de trouver une autre façon de m’y prendre. Parce que c’est toujours pareil, il faut essayer de proposer quelque chose, il faut essayer d’avancer.

cafebabel.com : Toujours d’un point extérieur, et toujours en prenant Toutes Directions en premier, je ne trouve pas qu’au niveau musical, au niveau du fond, il y ait une énorme différence. Je ne sais pas si l’on peut parler d’un prolongement mais tu penses que ce disque marque une rupture ?

Bertrand Burgalat : Non pas du tout. Je pense que c’est une progression et j’essaie vraiment de m’améliorer. Je ne suis pas Karl Lagerfeld qui va dire « le XVIII siècle c’est pourri ». Je suis pas un styliste, voilà. Quand je dis ‘j’aimerais bien rebattre les cartes’ ça veut dire : ‘j’aimerais bien faire un disque où il y aurait que des graves et que des aigus.’ Mais j’ai toujours essayé de me démarquer de la mode dominante. Quand tout le monde était French Touch, je n’étais pas vraiment French Touch. Je n’ai pas non plus admiré la nouvelle chanson française. Je ne suis pas folk-rock non plus. En France, il y a une tradition dans le domaine de la variété. J’ai travaillé avec certaines personnes - Adamo par exemple - ça ne s’est pas bien passé du tout parce qu’il faisait des chansons avec des intuitions incroyables mais après il venait me voir et il me disait « ouais faudrait que tu me fasses un truc reggae ». Je l’ai appelé « Jadamo » après. Bref, tout ça parce qu’il y a une tradition dans la variété selon laquelle on obéit aux influences du moments. « Il faut disco ? Faisons du disco ». Et caetera.

cafebabel.com : Et on touche à quoi là ? Tu penses pas que c’est parce qu’ils ont peur d’affirmer une certaine différence à l’égard d’une industrie musicale…(il coupe)

Bertrand Burgalat : Je pense qu’ils ont raison d’avoir peur. Je prends l’exemple de Tricatel où on a essayé de faire gaffe à ne pas avoir deux fois la même chose, de ne pas avoir deux artistes dans la même veine. Et ben, on n’a pas du tout été compris par les magasins. Donc le fait de ne pas trop vouloir se mettre une étiquette, ça nous désavantage. Mais après sur le fond, je n’ai pas dut tout de regret. Parce que c’est pas parce qu’on aurait une étiquette que ça marcherait.

cafebabel.com : Pour revenir à l’album, t’as laissé tous tes textes aux bons soins de la plume de paroliers. Pourquoi ?

Bertrand Burgalat : Ils écrivent bien. Ils écrivent sûrement mieux que moi. Et encore mieux que moi si c’était moi écrivant pour moi (sic). Ce qui est important c’est qu’en passant par des paroliers, je me tiens beaucoup plus près de ce que je voudrais exprimer alors que si c’est moi qui écris, je sais qu’inconsciemment je vais avoir l’impression d’auto-analyser ce que je fais. Enfin, je vais avoir l’impression de me mettre à nu, ce qui n’est pas le cas. Puis j’estime qu’un disque comme ça, ce n’est pas mon disque. Je ne suis pas en train de vendre mon personnage, ma personnalité à travers un disque. Je suis en train de proposer une œuvre, une œuvre collective. Même si c’est moi qui suis sur la pochette même si c’est moi qui ai fait beaucoup de choses, je considère que mon travail est indissociable de celui des auteurs et des musiciens qui participent au disque. C’est pas « moi Bertrand Burgalat ». Et c’est une joie. Parce que déjà le fait de ne pas être un groupe, c’est déjà moins bien : la musique c’est quand même un truc collectif. En même temps, il y a un aspect assez solitaire. Et moi j’aime bien ce mélange.

cafebabel.com : Est-ce que tu penses que c’est plus personnel d’écrire tes textes mais de ne pas les chanter ou l’inverse ? En gros est-ce que tu sens ce disque plus intimiste que les précédents par le fait que tu as laissé l’écriture à des paroliers ?

Bertrand Burgalat : Ils étaient tous très intimistes mais ce qui est sûr c’est que j’ai fait des chansons pour d’autres, parfois, qui étaient extrêmement personnelles. En fait, l’idéal pour faire des trucs plus personnels, c’est d’arranger un morceau que l’on n’aime pas. Au final, ce sera le morceau avec lequel je me sentirai le plus libre parce que si je ne travaillais pas avec un autre artiste, je n’oserai pas y toucher. Et il m’est arrivé de faire des trucs qui sonnaient mieux que d’autres morceaux auxquels je tenais plus. On est plus libre, plus détaché.

cafebabel.com : Souvent dans tes interviews, tu dis que t’as un côté anachronique. Est-ce que tu cultives une certaine différence ?

Bertrand Burgalat : J’ai un défaut : aujourd’hui il ne faut pas essayer de se démarquer parce que finalement, on fait les mêmes choses que les autres. Je pense qu’il ne faut pas essayer de suivre la mode mais ne pas non plus essayer d’en prendre le contre-pied. Moi, j’ai toujours eu tendance quand il y avait une mode dominante, d’aller à l’inverse. Je pense que c’est une erreur. Je ne veux pas être singulier, je m’en fous. Etre singulier, selon moi, c’est bête et il y a un exemple que m’avait raconté Manœuvre il y a longtemps. Un jour, il accompagne sa fille à un concert de Marilyn Manson et au Zénith, il y avait 5OOO clones de Marilyn Manson parce que tous étaient persuadés chacun dans leur coin d’être les seuls à l’imiter. Donc, je crois qu’il ne faut pas chercher ça. Quand je dis anachronique c’est parce que les gens me considèrent comme quelqu’un de nostalgique. Ce qui n’est pas le cas mais il y avait un terme à l’époque – horrible et que je revendique surtout pas. On disait « il est branché-décalé ». Je pense que ça c’est une connerie. Je ne veux pas être décalé. J’admire les mecs comme Bowie qui disent aujourd’hui « tout est neuf tout est génial ». Il a une espèce de positivisme que j’admire. Moi, je ne peux pas être là. Je ne suis pas encore assez vieux pour affirmer : « putain c’est génial, j’y comprend rien mais c’est génial ! ». Je n’en suis pas là mais ça viendra, c’est sûr. Et il y a eu des mecs en France comme ça qui disaient « ah j’ai mis un remix drum&bass. C’était trop énorme ». Je considère simplement qu’en musique comme dans le reste, plus on connait ses admirations plus on peut avancer. En studio je passe énormément de temps à bannir tout exercice de style ou toute resucée du passé, j’essaie de les éviter. En même temps ces approximations là, elles m’amusent. En général, c’est quand même un style de fainéantise. Je laisse dire. Ça me fait rire. Parce que j’ai vu avec le temps, quand les gens avaient des espèces de raccourcis un peu faciles, ça les renvoie à eux. Beaucoup m’ont collé un artiste sur la tronche, parce que ma musique leur rappelait ce que je faisais. Des artistes que je connaissais mais que je n’avais pas écoutés depuis 20ans. J’ai eu Gainsbourg, Burt Bacharach, les compils d’easy-listening. Parce que c’était eux, parce que c’est ce qu’ils écoutaient. Chaque fois, je trouve ça intéressant parce qu’ils m’apprennent. Mais beaucoup plus sur l’interlocuteur que sur moi.

cafebabel.com : Tu as dit un truc intéressant dans ton petit film de promo, tu as dis que ton album tu l’avais écrit il y a très longtemps. Et je me demande si l’album n’est pas fait des petites sommes de choses que tu n’aurais pas faites avant.

Bertrand Burgalat : Il y a des strates. Sur un disque comme ça il y a des choses qui trainent qui je n’arrive pas à résoudre. Il y a des équations insolubles. Il y a des morceaux comme « Berceuse » qui a 22 ans. Parce que je n’arrivais pas à retrouver la musique qui allait dessus. J’ai dû sortir une disquette de mon Atari pour retrouver le truc. Il y a des choses comme ça qui trainent. Et c’est l’inverse des fonds de tiroirs parce que sont des trucs super importants mais que je n’arrive pas à bien résoudre. Puis, il y a des choses qui se font à tel moment. La plupart des morceaux ont été fat juste après mon troisième album puis « Voyage sans retour » est un texte qu’Elisabeth Barillé a dû écrire peu de temps après. Et je me suis dit « quand j’en aurais 14 ou 15 comme ça » je ferai un album.

cafebabel.com : On te considère aussi beaucoup comme « un esthète de la pop »  avec une musique très recherchée, architecturale, ficelée presque ésotérique. Est-ce que tu te considères comme un travailleur besogneux ?

Bertrand Burgalat : Oui et non. Je ne suis pas un pinailleur dans le sens où je fais les choses très spontanément. J’improvise beaucoup. Pour moi, le studio c’est un jeu. Je vois des gens en studio, ils font la gueule. Ils sont dans le mythe bourgeois de la souffrance. D’un autre côté, il y a des choses sur lesquelles j’essaie d’être très précis pour trouver le bon alliage, les bonnes combinaisons, la bonne couleur. Et s’il faut mettre un an pour faire un truc, je vais mettre un an. Je compose assez vite en revanche. Donc c’est un mélange de spontanéité et de rigueur. Pour le reste, la plupart des projets que j’ai faits, c’était des projets assez difficiles. C’est con mais un musicien ça s’apprend. J’ai préféré faire 10 projets un peu acrobatiques où je n’allais pas gagner beaucoup d’argent plutôt que de faire le gros truc. C’est pour cela que je suis content de ne pas être l’artiste qui fait ses douze chansons tous les deux ans. Je suis aussi obligé de travailler, de faire des choses, de faire des commandes. Parfois on peut perdre l’appétit pour la musique à cause de ça parce qu’il ne faut pas que cela devienne juste un boulot quoi. Autant on peut garder une certaine fluidité.

cafebabel.com : En même temps, tout le monde n’est pas dans ta position. Tout le monde n’est pas artiste et dans le même temps fondateur et directeur de label…

Bertrand Burgalat : Parfois c’est même décourageant de faire tout ça. On se dit pourquoi on le fait ? Et puis bon, quitte à le faire, autant faire les choses bien. Faire ce qu’on aime avec des gens que l’on apprécie. C’est quand même un luxe.

cafebabel.com : T’es passé par une période difficile… (Tricatel a connu une situation difficile au début des années 2000, à l’époque Bertrand aurait annoncé vouloir arrêter la musique, ndlr)

Bertrand Burgalat : Le disque est sorti hier. Là, je suis encore content de l’avoir fait. Deux, c’est le disque sûrement le mieux accueilli par la critique. Donc c’est déjà une victoire. Après, je veux voir le résultat dans trois mois. Si on n’est pas arrivé à passer certaines strates, si je n’ai pas réussi à élargir mon public, je me dirai pas « j’aurais dû faire le disque autrement » mais simplement peut-être que je me poserai des questions. Je me dirais « est-ce qu’il faut continuer à lutter comme ça ? ». Dans ces  moments là, de promotion, juste après la sortie, alors que je ne mets pas la barre haut commercialement– remarque j’étais en dessous de mes attentes même quand je plaçais la barre bas. Ce que je veux c’est juste la capacité future à faire d’autres choses. Mais là je suis très positive attitude.

cafebabel.com : Quelle formation musicale tu as ?

Bertrand Burgalat : J’ai commencé le piano à 6ans, formation classique que j’ai abandonnée à 12 ans.  J’ai arrêté trop tôt surtout parce que c’était un période où il y avait soit la formation conservatoire classique, soit le délire autodidacte. Donc j’ai lâché classique et je me suis retrouvé avec une formation théorique trop sommaire. Si je lis un traité d’harmonie et tout ça, il y a toute une grammaire que je ne connais pas. Je connais l’orthographe de la musique mais je n’en connais pas la grammaire. C’est comme si on me disait « ne mettez jamais de cravates à pois sur des chemises rayées ! » «  Ah bon ? Je ne savais pas… » J’ai des regrets parce que du coup, ça ne me pose de problème quand j’écris mes arrangements. Mais j’aimerais lire à vue. Et je suis en aide à la musique au CNC (Centre national de la cinématographie, ndlr). Il y a des gens qui sont premiers prix de conservatoire. Des gens qui ont la compétence technique suffisante pour faire des supers trucs. Mais dans le même temps, j’ai l’impression que ce type de formation les restreint dans un enseignement qui ne leur apprend que « la manière de ». Après 12 ans, j’ai appris sur le tas. J’ai essayé de progresser. L’an dernier, j’ai été voir un compositeur classique. Il faudrait que je réapprenne tout dès le début. C’est comme si tu conduis dès 30 ans et que d’un coup, tu devais repasser le code.

cafebabel.com : Et dans le milieu de a musique en tant que tel. Tu es fils de préfet comme un certain Jean-Louis Aubert, j’imagine que tu n’as pas vraiment été bercé dans un cocon musical ?

Bertrand Burgalat : Ah ben non pas du tout. J’ai été fils de préfet mais bon je ne l’ai pas été très longtemps parce que quand mon père est mort, j’avais 20 ans. Et donc je n’ai plus jamais eu de liens avec les gens que connaissait mon père. Je me suis retrouvé seul. Puis même quand il était en vie, il était ami avec Tino Rossi. Je regrette parce qu’à l’époque je me souviens : voir Tino Rossi, c’était voir le diable, l’incarnation du mal absolu. Je refusais absolument. Maintenant je me dis « quelle connerie ! » J’aurais adoré voir sa baraque.

cafebabel.com : Et t’as grandi où ?

Bertrand Burgalat : Un peu partout parce qu’un préfet ça bouge tous les deux-trois ans. J’ai été en Corse, dans les Landes, dans le Morbihan, à Colmar, en Seine Saint Denis, en Bourgogne. J’ai même vécu à Londres, tout seule à 14 ans. Mon père était en poste à Ajaccio et le climat politique était un peu compliqué. Puis on m’a dit « ah t’as un bon niveau d’anglais, tu pourrais au lycée français ». J’étais près d’Heathrow chez des Thénardier, je me caillais. Et ils me filaient des tricots de corps. Bref, c’était en 77-78.

cafebabel.com : Et ton style alors ?

Bertrand Burgalat : Je m’habille comme je détestais la mode des gens qui s’habillaient comme ça à l’époque. Mais quelque part on en revient à l’album. Bon mon père est mort quand j’avais 20 ans puis plus j’ai progressé, plus j’ai vécu des choses bien et plus je ressentais le besoin de partager ces choses avec mes parents. J’ai perdu mon père, ma mère, ma sœur. Et je pense qu’inconsciemment la façon de me saper doit venir de là. Avec le temps je me suis aussi rendu compte combien mes parents m’avaient adoré. Donc peut être que je fais une sorte de transfert en me sapant comme ça.

cafebabel.com : Tu sais que mon père aime bien Burgalat ?

Bertrand Burgalat : (Il se poile). C’est marrant parce que normalement le truc typique avec les vedettes vieillissantes, c’est genre « ma grand mère te kiffe ». Non c’est la première fois que quelqu’un que je rencontre me dis ça, je trouve ça génial.

cafebabel.com : Je dis ça parce qu’à la maison, dans les chiottes, il y a Rock&Folk et que c’est quand même un canard qui t’a vachement soutenu ?

Bertrand Burgalat : J’ai une gratitude énorme pour Rock&Folk parce que je trouve que Philippe Manœuvre a toujours eu un côté ado éternel dans tout ce que ça a de touchant. C’est un mec qui a des enthousiasmes assez rafraichissants car il se fout complètement de savoir ce que l’on va en penser. Donc pendant des années il s’est battu à Rock&Folk  pour des groupes improbables ; genre Mötley Crüe. Putain, Mötley Crüe. Et moi, j’étais le cœur de cible qu’il allait normalement dézingué. Des mecs comme ça - rockeurs purs et durs - ils vont nous dézinguer. Et c’est tous les anciens rockeurs  - Marc Zermati, Alain Dister – qui ont été d’une bienveillance assez géniale. J’ai donc une gratitude éternelle envers Manœuvre. Pour le dernier numéro, il m’a appelé pour le shooting et Philippe est venu en taxi. Et je me suis dit « putain le mec il est venu, alors qu’il est rédacteur-en-chef, qu’est-ce qui se fait chier ». Tout ça pour dire que je trouve que faire des interviews c’est un privilège. Parler avec des gens qui ont écouté ce que tu fais etc…Et quand je vois des gens qui se plaignent pour faire des interviews ben je leur dis « allez en enfer bande de cons ». C’est quand même une chance. En plus pour moi, il n’y a pas de hiérarchie là-dessus. La taille des journaux, pour moi, n’a aucune importance. Je ne consens pas à donner une interview. Pour moi, c’est une chance. Puis aujourd’hui, il y a beaucoup d’indifférence dans la musique c’est normal.

cafebabel.com : On est à la bourre mais explique-moi un peu ce label qu’est Tricatel.

Bertrand Burgalat : Je n’avais pas du tout l’idée d’en faire un label. J’ai sorti un premier disque, comme ça.

cafebabel.com : Enfin t’as vu L’aile ou la Cuisse quand même avant…(Tricatel est un personnage du film, nldr)

Bertrand Burgalat : À l’époque au milieu des années 90, il y avait plein de rediffusions. Ça me rappelle Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce qui avait aussi inventé une machine à faire des néologismes. C’est un mec à interviewer, génial. La carte à puce, t’imagine ?? Et à l’époque, beaucoup de noms apparaissaient comme ça : Alcatel, Cegetel. Bref, je ne voulais pas en faire un label, on avançait à vue. On se disait tiens on va sortir ce disque, on y va. Puis après c’était un rêve comme ça, de fonder une petite écurie.

cafebabel.com : C’était aussi un coup de gueule contre les majors…

Bertrand Burgalat : Ouais aussi mais avec le temps je suis devenu beaucoup plus pro-majors. (Ah bon ???) Oui, parce que je pense que nous sommes dans un monde où il faut des artisans comme nous mais aussi des gros. On a beaucoup plus souffert avec des gros indépendants dans la pratique qui nous considéraient assez mal et qui jouaient sur le côté très vertueux mais qui se conduisaient très mal. Le moment où l’industrie musicale a foutu le marketing dans la musique avec la pub et tout, évidemment, je voyais le diable. Aujourd’hui, Universal par exemple c’est un peu le LVMH du disque c’est à dire que c’est des gens qui ont fait du marketing mais en même temps, si l’on regarde bien sur la longueur, ce sont des personnes qui ont viré le moins de gens, qui ont fait le moins de plans sociaux. Dans l’absolu, ce ne sont pas ceux qui se sont conduits le plus mal. Je ne dis pas que tout ça a été fait avec beaucoup de goût et beaucoup de discernement mais je respecte. Pour des gens comme nous, ils ne nous font aucun mal. Quand Universal rachète EMI, que des gens qui se revendiquent comme « indépendants » déposent plainte devant Bruxelles, ben je trouve ça scandaleux. Parce qu’en fait, ce qu’ils veulent ce n’est pas du tout empêcher l’achat d’EMI. Ils veulent que Bruxelles oblige Universal à le vendre, à des prix défiants toute concurrence des parts du catalogue d’EMI. Donc ils attendent qu’on leur donne Virgin Classic et tout ça. On instrumentalise Bruxelles pour utiliser des fonds de catalogues et c’est assez dégueulasse. En tout cas, je ne suis plus dans cet affrontement de la même manière que je ne suis plus dans l’affrontement avec les magasins. Avant lorsque l’on était en marge, la Fnac et les megastore faisaient la loi c’est à dire que s’ils nous soutenaient pas, on était mort. Quelqu’un qui faisait des trucs grand-public, ils pouvait toujours aller voire Leclerc ou Auchan. Mais nous, on était trop en marge et on était vraiment confrontés à de lourds problèmes. Et aujourd’hui, s’attaquer à la Fnac, c’est tirer sur une ambulance. Les mecs en bavent. Le disque à la Fnac, c’est foutu.

cafebabel.com : Et comment ça va Tricatel maintenant ?

Bertrand Burgalat : Ben on tiens parce que je considère que c’est une entreprise qui est à mi-chemin entre la fondation et le truc associatif.

cafebabel.com : Dernière question et je t’avais dit que tu ne pouvais pas y échapper. Pourquoi t’as appelé ton album Toutes Directions ?

Bertrand Burgalat : J’avais lu un bouquin d’Eric Neuhoff où il parlait de plusieurs personnages comme l’écrivain Dominique De Roux qui prenait tous les temps les panneaux « Toutes Directions. » Et c’est un bon parrainage pour disque comme ça. C’est l’idée de se dire je vais essayer de sortir de mon petit labyrinthe, d’essayer de pas tourner en rond en quoi.

Interview réalisée par Matthieu Amaré et Marine Leduc, le 17 mars 2012, à Tricatel avec un café Nespresso et un verre d’eau du robinet.

Photos : © courtoisie d'Ivox Music

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.