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Berlin-Neukölln : hipster avant l’heure ?

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ORIENT EXPRESS REPORTER tripled

(cc)kbirkenbach/flickr Pour les médias, Neukölln n’est connu que pour sa violence et l’échec de l’intégration. Pourtant, depuis quelques années, le quartier est devenu un exemple du phénomène de gentrification à Berlin. Je vis depuis quelques mois dans la Weichselstrasse à Berlin-Neukölln. Selon les statistiques, près de 315 000 habitants, dont 41% d’ immigrés, sont au chômage.

Ma rue a été décrite dans un magazine de la ville comme un des lieux les plus « hipsters » de Berlin. Mais qu’est ce qui lie les habitants à cet endroit ? Comment la rue a-t-elle changé ? Rencontre avec mes nouveaux voisins par Franziska Hessberger 

Eugen est surpris que je l’aborde en plein milieu de la Weichselstrasse. Il est 11h du matin. Cheveux blancs, mèches en désordre et teint hâlé, il est la première personne que j’accoste. Il est assis devant sa « station-service » - c’est comme ça qu’il appelle le kiosque au n°62 de la rue. Une bière coûte ici 80 centimes. Depuis que les bistrots de coin de rue (lieux typiquement berlinois) ont été remplacés par les salles de jeux et les cafés chics, cet endroit est une sorte de refuge, m’explique Eugen.

Liberté chérie

15 ans que cet établissement est là. 15 ans que cet établissement est là. | ©Luka Knezevic-Strika

Depuis 30 ans, cet Autrichien d’origine vit à Neukölln. Que je vive dans la même rue lui provoque un sourire. Mais après 10 minutes de conversation, il me propose une place sur son banc et une gorgée de son schnaps : je suis désormais une vraie Berlinoise. Après des études d’art, il a fait tout ce qu’il est imaginable de faire. Il dessine encore. Même quand il est à court de matériel à dessin, il utilise des cendres de cigarettes et sa propre salive pour ses créations. Eugen a passé un peu de temps dans un monastère à Katmandou, dans une grotte en Espagne, mais il est toujours revenu à Neukölln. Ici, on le laisse tranquille. Il affirme alors, un peu philosophe : « Le plus important dans la vie, c’est la liberté. C’est ce que j’ai ici. »

Helge dans sa cuisine. Helge dans sa cuisine. | ©F. Hessberger Helge et moi vivons dans la même maison. Nos cuisines sont voisines. Il y a de ça 26 ans, un matin dominical, il est rentré dans cet appartement. Il y vit encore aujourd’hui, au numéro 66 de la Weichselstrasse. Âgé de 70 ans, il paraît étonnamment jeune, tout comme son lieu de vie. Quand il a emménagé en 1986, Le Mur était au bout de la rue, avec les points de contrôle dans la partie supérieure. La rue était alors à éviter. C’était calme. Mais cette atmosphère particulière n’a pas changé. « On ne pouvait pas faire grand-chose, c’était et c’est toujours attrayant. Tout était facile, et ça l’est resté. » Il existe encore quelques ateliers et quelques galeries d’art, mais rien ne tient bien longtemps.

10 minutes sont nécessaires pour remonter les 850 mètres de la rue. Des bâtisses ornementées et des bâtiments des années 1950 se succèdent. Les artistes graffeurs s’entraînent sur les murs des maisons. Je compte près de 20 bars, cafés et restaurants. Un supermarché bio en face d’un magasin discount. Les habitués d’un glacier (bio, également) et d’un kiosque sont éloignés d’une centaine de mètres.

Seringues usagées et « coffee to go »

Le magasin était un cinéma avant. Mais ça, c'était avant. Le magasin était un cinéma avant. Mais ça, c’était avant. | ©Luka Knezevic-Strika

La dernière maison de la rue est au numéro 34. Anette a habité ici jusqu’en 2005. « Il y a encore 7 ans, il n’y avait aucun bar, juste des boulangeries turques et des magasins d’électronique. Des seringues usagées trainaient en face de l’aire de jeu », m’explique la journaliste. Le rez-de-chaussée de son immeuble était, comme tant d’autres, barricadé de planches de bois. Elles ont été enlevées en 2006. Le café Rudimarie a ouvert. Aujourd’hui, les parents branchés vont chercher leur « coffee to go » pour le boire sur le terrain de jeux juste à côté.

Il y a encore 7 ans, il n’y avait aucun bar. Des seringues usagées trainaient en face de l’aire de jeu

Je rencontre Thomas au Rudimarie. Les prix du café lui rappellent Friedrichshain, les loyers hors-de-prix et les hipsters, tout ce qu’il l’a fait fuir de ce quartier berlinois. « C’était beaucoup plus mélangé ici auparavant. Maintenant, plus personne ne peut se payer un logement. » Au numéros 37 et 38 vivent 40 locataires. Au cours des deux années précédentes, le loyer a été augmenté dans 30 de ces appartements. Et non par volonté. La raison : les travaux de rénovation font grimper les prix. Le nouveau chauffage dans les 80m carrés de Thomas a couté 380 euros. Après l’assainissement, l’appartement coutait 750 euros. « Le syndic mutualise les coûts avec les habitants, et les loyers augmentent. Si les frais sont amortis au bout d’une dizaine d’années, les loyers restent élevés. Personne ne s’occupe du côté social ! », explique Thomas. Il est l’un des seuls dans l’immeuble à s’être battu juridiquement contre l’augmentation des loyers. Il a certes perdu le premier procès, mais continue le combat. Si rien ne change, il sera obligé de déménager.

Lire aussi sur cafebabel.com : « Berlin : mon voisin, le hipster »

Quelques mètres plus loin se tient un café, où Thomas n’est jamais allé. Il a ouvert il y a deux ans et demi - de larges fenêtres, des meubles anciens. Lors de la rénovation, des riverains curieux ont souvent jeté un coup d’oeil à l’intérieur. Le propriétaire du café ne se laisse pas démonter face à ces visages sceptiques, et propose aux gens du kiosque d’en face d’y rentrer. Les prix et le public plutôt jeune et tendance n’incitent pas les habitants du quartier à venir. Les propriétaires ne préfèrent pas être cités. « Nous voulons créer une atmosphère, dans laquelle on peut vraiment lire. Si 20 personnes veulent danser, ce n’est pas possible », m’explique le propriétaire. Ainsi, les touristes fêtards sont tenus éloignés pour rester au calme.

Fehrat dans son "kiosque d'avenir". Fehrat dans son “kiosque d’avenir”.

Les fêtards sont la raison pour laquelle Fehrat construit un bistrot de coin de rue. Il a une idée : « Ce quartier sera, dans les trois années qui viennent, le quartier le plus apprécié de Berlin. » Au numéro 54, le trentenaire veut ouvrir un kiosque d’épicerie fine. Il paye 3000 euros pour presque 300m carrés. Il me montre avec fierté toutes les pièces du chantier tortueux. Il a arraché les vieilles tapisseries, dégagé les briques, poncé les planches, et a investi près de 7 000 euros. Ses attentes sont élevées. Un voisin lui a expliqué que la Weichselstrasse serait un jour plus connue et plus aimée que la Kurfüstendamm (célèbre artère chic de Berlin), remplie de magasins et de bars. C’est un ancien bar justement, qu’il est en train de rénover.

Un groupe de jeunes graphistes et d’illustrateurs décide aussi de prendre en main le futur de la Weichselstrasse. Au numéro 65, ils ont créé le Salon Renate. Originaire du Portugal, Eva est graphiste. A Berlin, elle a enchaîné les stages, puis a décidé de se mettre à son compte. Tous les jours, les transformations de Neukölln l’inspire. On peut trouver pêle-mêle dans son bureau des flyers pour les prochaines soirées ou les futures manifestations des locataires.

Eva. Eva.

Malgré les problèmes auxquels ils sont confrontés, les gens de la Weichselstrasse protègent le mélange des différents modes de vie. Mais comment un lieu peut résister à autant de transformations, sans perdre ce qu’il faisait son essence ? 

En partenariat avec l’Office franco-allemande de la jeunesse (Ofaj), cet article fait partie d’Orient Express Tripled, une série d’article par cafebabel.com écrit par des journalistes résidents dans les Balkans, en Turquie, en France et en Allemagne. Plus d’informations sur le blog ici.

Photos : Une (cc)kbirkenbach/flickr; Texte : Helge & Ferhat ©F. Hessberger,  Autre photos ©Luka Knezevic-Strika pour Orient Express Reporter Tripled par cafebabel.com

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.