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Au cœur de la crise automobile: « Nous, futurs précaires Fiat à Melfi »

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Cléo Schweyer

SociétéPolitique

Avec déjà 400 emplois menacés dans la fabrique Fiat de Termini Imerese en Sicile, le doute plane sur l’avenir du constructeur automobile italien : reportage en direct de la Sata, une des plus grandes usines Fiat, entre divisions syndicales et désarroi ouvrier.

« La vérité, c'est que nous sommes en plein chaos. De Turin à Palerme, personne ne sait ce qui nous attend. »

San Nicola di Melfi, ou Melfi, est un petit territoire d'environ 1 000 habitants situé dans la province de Potenza, tout au Sud de l'Italie. Aux confins de la Basilicate et des Pouilles, il est réputé être une des zones industrielles les plus vastes de la Péninsule. Sergio fait partie des quelques 2 000 ouvriers qui, chaque jour, voyagent de la Campanie à la Basilicate : « Quand ils ont fermé l'autre usine pour laquelle je travaillais, il y a six ans, certains d'entre nous ont eu la possibilité d'être mutés à Melfi. »

A Sata, en effet, ils sont nombreux à venir d'autres régions du Grand Sud. A tel point que quand on arrive aux grilles de la manufacture à l'heure du changement d'équipes, on a l'impression d'être devant un lycée à la sortie des cours. Hommes et femmes uniformément vêtus de bleu sortent de l'usine le sac au dos, puis montent dans des bus en direction de Naples ou de Foggia.

Le spectre de Termini Imerese

(doyoubleedlikeme/ flickr)Au moment de la rotation matinale, l'entreprise distribue des exemplaires du quotidien La Stampa [propriété du groupe Fiat, ndt] : « Je le lis tous les jours, même si mes collègues disent que c'est le journal des patrons. Aujourd'hui, par exemple, ils parlent de la fermeture du site sicilien pour 2012. Marchionne dit qu'il n'y a pas d'autre solution. » On en discute, dans la perspective de la prochaine assemblée syndicale. « Il n'y a pas trop de quoi se rassurer. Par ici, rien ne dit que Termini Imerese sera le seul site à fermer. Nous, à la Sata, on coure aussi des risques. Ils répètent sans arrêt que c'est la crise, mais moi je travaille pour eux depuis trente ans et ça en fait quarante que j'entends parler de crise. C'est la crise tous les cinq ans, quoi », explique Vincenzo Russo, représentant du syndicat indépendant Failms. Sur le parking de l'usine Sata s'entassent des milliers de Grande Punto, l'automobile produite ici, tous modèles confondus. Le 15 juillet dernier, sa production été stoppée sur le site.

Les syndicats : « Nous resterons unis »

Les ouvriers qui doivent pointer pour le tour de quatorze heures s'acheminent vers la porte B en faisant circuler le dernier tract du syndicat « Du désastre économique accidentel au désastre économique prémédité », qui invite les travailleurs à le rejoindre. « Le problème c'est qu'ici, au sein du même établissement, il y a des réalités économiques très différentes qui cohabitent : il y a l'ouvrier à un seul revenu et qui en plus vient d'une autre région, il y a celui à plusieurs revenus, et puis il y a le travailleur local qui, en plus de son travail à l'usine, a une petite propriété dans le coin et vit confortablement sur son terrain. » 

« Ils parlent de la fermeture du site sicilien pour 2012. Marchionne dit qu'il n'y a pas d'autre solution. »

La solidarité entre ouvriers est bien le point le plus complexe, et le syndicat subit cette réalité depuis des mois. Très exactement depuis que, en pleines négociations entre Confidustria [le Medef transalpin, ndt] et le gouvernement, deux des trois syndicats (CISL et UIL) ont décidé de signer l'accord sans le soutien de la CGIL. « Depuis ce jour-là, ils n'ont pas arrêté de nous éloigner les uns des autres, ils nous divisent de l'intérieur, et un accord qui prenne réellement en compte les intérêts de tous les ouvriers est de plus en plus improbable. Les ouvriers eux-mêmes ne s'en rendent pas compte. Tu leur parles délocalisations et ils te répondent « turnino ». [Le « turnino » est une ingénieuse méthode développée par les industries pour réduire les 3/8, qui consiste à allonger les deux tours de jour pour faire progressivement disparaître celui de nuit, mieux payé que les deux autres, ndlr]. « La vérité, c'est que nous sommes en plein chaos. De Turin à Palerme, personne ne sait ce qui nous attend. » 

L'Italie d'abord 

Pendant ce temps-là, certains se retrouvent au chômage partiel, d'autres au chômage technique, et pour d'autres encore les CDD ne sont pas renouvelés. « Les catégories de salariés à représenter sont variées. La seule certitude c'est que tout le monde y laisse des plumes. Par exemple, en ce moment, plutôt que de mettre les ouvriers au chômage partiel, ils les font venir et pointer, et puis ils les renvoient chez eux parce qu'il n'y a pas assez de travail. Ils ne les payent pas, [alors que le chômage partiel leur garantirait 80 % du salaire correspondant aux heures non travaillées, ndlt], et les laissent dans l'illusion qu'il ne se passe rien », poursuit Russo. Chez les syndicalistes, on essaie de rester calme après ce qu'on a baptisé ici « l'affaire Innocenza ». « Tonino Innocenza est un vieux syndicaliste. Ils l'ont licencié il y a quelques mois pour ‘activités subversives’. Et avec lui, deux autres collègues à nous. On s'y intéresse de près, comme à l'accord avec les Américains et les Allemands, on aimerait savoir ce qui se passe dans notre pays. »

Sergio raconte que lui aussi a accroché une banderole sur le chemin qui mène à l'entrée de la Sata, là où, depuis quelques jours, des stands de mobilisation et d'information ont été montés : « S'il faut on y reviendra, aux 20 jours de grève de 2004. On se battra pour le droit au travail, ou au moins pour le droit à savoir si le poste qu'on a, on ne l’a pas en réalité déjà perdu. »

Translated from Viaggio nella crisi dell’auto: “Noi futuri precari della Fiat di Melfi”