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Attentats de Saint-Pétersbourg : ici ou là-bas 

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Société

Notre auteure a passé un an en échange Erasmus à Saint-Pétersbourg. Lundi, lors des attentats qui ont fait 14 morts dans le métro de la métropole russe, elle était à Paris. En novembre 2015, lors des attaques dans la capitale parisienne, elle était en Russie. Impressions.

Vide, silencieuse, la ville marche à reculons. Hagards, plongés dans leurs pensées, quelques passants se retrouvent dans les rues. La tête baissée, on les croirait honteux de leur promenade. Le temps que j’arrive à l’ambassade, une forte pluie a commencé à tomber. Un petit groupe s’est déjà formé à l’entrée du bâtiment. Ses membres font face à une masse hétérogène, rassemblant fleurs, bougies, drapeaux et mots de soutien. Ils la regardent, l’admirent, fixement. Quelques larmes perlent sur les visages de certains, venant se mêler aux gouttes de pluie. Elles imbibent également les cartes de condoléance et les dessins d’enfants. L’étroit trottoir de la perspective Nevksi, principale artère de Saint-Pétersbourg, ne permet pas de s’attarder. À mon tour, je dépose des fleurs, des œillets rouges, sur le seuil de l’ambassade. Je quitte ce mémorial solennel avec l’impression d’un trop peu, d’un trop loin.

Ce souvenir remonte à presque un an et demi, un certain 14 novembre 2015. Originaire de la banlieue parisienne, j’avais quitté celle-ci en septembre pour réaliser un programme en échange d’un an à Saint-Pétersbourg. La veille, les attentats les plus meurtriers qu’ait connus la France avait touché Paris, ma capitale de coeur. Lundi dernier, alors qu’une bombe explosait dans le métro pétersbourgeois et tuait sur le coup 10 personnes, j’ai retrouvé cette sensation désagréable : celle de ne pas être là où il faut, quand il faut. Frustration, culpabilité, comment aider et montrer son soutien de l’étranger ?

Les mêmes pratiques reviennent, sorte de rituels. Prendre des nouvelles de ses proches, pour s’assurer de leur sécurité. Poster un message sur les réseaux sociaux. Suivre les médias, pour grappiller la moindre information. Enfin : parler avec ses amis du pourquoi, du comment et de l’avenir. Toutes ces actions peuvent aujourd’hui se faire à distance. Pour autant, on ressent une insuffisance. On aimerait être là-bas, avec eux. Notre présence sur place changerait-elle la donne ? Certainement pas. Au fond, ici ou là-bas, y a-t-il vraiment une différence ?

Je regarde les informations et voit des images de la place Sennaïa, accueillant la station de métro où ont eu lieu les attentats. Mes souvenirs me reviennent en mémoire. Que représente cette place pour moi ? Un désordre, une cohue, où les petites boutiques de chaverma (kebabs russes), magasins de chaussures et cartes téléphoniques bon marché, côtoient les vitrines des grandes enseignes internationales. Un condensé d’une Russie où le mouvement et la vie ne s’arrêtent jamais. Je m’imagine facilement dans le métro. Ses portes massives m’accueillent à bras ouvert. Le message traditionnel annonce le départ. « Attention, les portes se referment. Prochaine station : Institut Technologique. » Je reviens à la réalité et aux attentats.

Vivre les attentats de l’étranger est un déchirement constant. Déposer une fleur à l’ambassade, changer son profil Facebook, ces actions paraissent si veines et infimes. Aucune ne semble peser face à l’horreur de l'événement en question. La seule chose avec assez de valeur est d’être présent. Montrer physiquement sa compassion. Partager de ce fait, le poids du deuil et de la peur collective. Au lieu de cela, on s’informe, en écoutant les mêmes flash infos, en apportant de nouvelles révélations au compte-gouttes. Par ce biais, on met un pied dans une réalité à la fois lointaine et familière. On cherche tout ce qui peut nous y rattacher. On se sent impuissant, à ne pouvoir offrir qu’une aide anonyme.