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Alan Stivelman, l'homme qui est devenu humain 

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Culture

Nous avons interviewé le cinéaste argentin Alan Stivelman, en pleine tournée à travers l'Europe pour présenter son documentaire, Humano. Alan a voyagé à travers les Andes pour découvrir l'origine de l'humanité. Mais à peine arrivé, on l'a prévenu qu'il ne le comprendrait jamais parce qu'il n'était pas encore humain. Là-bas, il a appris à l'être. 

J'ai fait la connaissance d'Alan Stivelmann il y a quelques semaines au Café des Livres de Paris. J'ai appris qu'Alan, cinéaste argentin de 28 ans, allait être dans la capitale française par hasard, en voyant une annonce pour son documentaire Humano dans le timeline de mon Facebook. Je suppose que le journalisme fonctionne ainsi de nos jours. Aussi, j'ai découvert qu'Alan avait cohabité pendant quelques mois avec les Queros, une communauté indigène des Andes avec laquelle aucun contact n'avait été créé jusqu'aux années 1960 mais qui aujourd'hui possède même une page web, et qu'il avait tourné un documentaire sur son expérience. Alan, un citadin de Buenos Aires (selon ses propres mots), ressentait le besoin de se connaître lui-même depuis son plus jeune âge. C'est pourquoi, à 23 ans, il a décidé de réunir de l'argent avec pour seul objectif de voyager jusque dans les montagnes et essayer de trouver quelle est l'origine de l'humanité, de comprendre pourquoi nous sommes là et dans quel but. Un défi pas du tout méprisable.

« J'ai économisé un peu d'argent, je me suis acheté une caméra, un bon équipement de son et ce qui restait m'a permis de voyager en Bolivie et au Pérou en train, en barque... J'ai mis trois jours pour arriver. Là-bas, j'ai rencontré Plácido, un prêtre de la communauté des Queros », me raconte-t-il en se réchauffant les mains autour de sa tasse de thé. Alan a les yeux d'un bleu grisâtre et le regard sincère. Je ne sais pas si c'est son sourire ou son accent si séduisant de Buenos Aires, mais la conversation se déroule de manière naturelle dès le début. Je l'ai vu hier soir pour la première fois durant la projection de son documentaire dans un salon parisien reconverti en galerie d'art, mais pendant que je parle avec lui, j'ai la sensation de le connaître depuis longtemps. C'est de fait un aventurier des villes : il ne porte ni pantalon cargo, ni gilet rempli de pellicules photo, de cordes ou de couteaux multi-fonctions. Non. Il arrivait paré d'une chemise bleue à carreaux, un pull fin de couleur grise et un pantalon en jean. Je découvrirai plus tard que l'authenticité de son histoire se base là-dessus : Alan ne prétend rien montrer ni démontrer à personne, Alan prétend être lui-même. Quelque chose qui, à première vue, peut paraître facile, mais qui ne l'est pas tant que cela.

Une caméra et un sac à dos rempli de 200 questions

« Je suis arrivé là-bas avec 200 questions et pendant trois mois, j'ai parcouru avec Plácido les Andes de long en large, du Lac Titicaca au Machu Picchu, alors que Plácido m'a averti dès le début que ses réponses ne me serviraient à rien pour la simple raison que je n'étais pas "humain" », me raconte-t-il avec le plus grand naturel et devant ma perplexité la plus totale. Alain pas humain... qu'est-ce que cela signifie ? C'est de cela qu'est né le nom du documentaire tourné par Alan pendant tous ces jours durant lesquels il a travaillé entre les hauts sommets de la cordillère et un Starbucks de Cuzco qui lui servit de bureau, où il vidait les photos de son appareil et rechargeait les batteries. Dans Humano, l'auteur a exprimé l'essentiel du processus qui l'a amené à se connaître lui-même et à savoir ce que signifie en réalité être humain, à se « réconcilier avec sa religion » et même à repenser la validité de théories bien installées comme le darwinisme.

« Je suis de tradition juive mais j'ai rejeté ma religion dès l'enfance parce que l'image que j'avais de Dieu ne correspondait pas à celle qui apparaît dans l'Ancien Testament, celle d'un Dieu cruel. Je ne me sentais pas identifié, j'ai donc décidé de ne pas faire ma bar mitzvah, ce qui a provoqué chez moi une crise qui a duré plusieurs années, jusqu'à ce que je parle de tout cela avec Plácido. » Plácido lui a expliqué que les religions existent « pour aider la compréhension entre les êtres humains », quelque chose à laquelle contribuent même les guerres. Entre autres choses, le séjour avec Plácido a servi au jeune cinéaste pour « se libérer de la charge qu'il portait à 24 ans, quand il vivait obsédé par tout ce nous pouvions faire à travers le monde ». « J'ai remarqué parmi eux (les queros) un calme absolu, même face à la réponse la plus terrible, celle selon laquelle l'humanité est peut-être en train de se terminer et que nous disparaissons. Eux te disent avec le sourire qu'il se peut que l'humanité échoue, chose qui, il y a quelques années, me terrifiait mais que j'ai maintenant fini par accepter avec calme », approndit le réalisateur. Je lui demande si mieux se connecter avec la nature est la clef de tout cela, si cette acceptation a quelque chose à voir avec le fait de concevoir l'existence de quelqu'un comme partie d'un cycle qui encercle tous les êtres qui peuplent la planète. « Cela a quelque chose à voir avec la connexion avec soi-même », me répond-il. « La nature peut être un moyen pour nous aider à nous connecter, elle ne cesse d'être cela : un moyen pour nous connecter à notre esprit. Si je cherche des tunnels ou l'origine du monde, je le fais pour moi, parce que ma quête m'aide à me connecter à moi-même, alors que quand j'avais 24 ans, je le faisais pour révéler quelque chose à l'humanité. Tout ce que je faisais avait un caractère messianique, mais plus maintenant. »

Question de valeurs ?

Ce qu'il me raconte sonne assez bien, mais je ne vois pas encore clairement comment le mettre en pratique. Je me demande si l'on pourrait définir la condition d'humain par une série de valeurs, même si je me rends compte aussitôt que je tombe dans le risque d'occidentaliser un statut qu'il faut peut-être comprendre autrement. Être humain signifie avoir de l'humanité ? Et dans ce cas, que signifie avoir de l'humanité ? « Je sens qu'il y a des valeurs intrinsèques à l'humain », me répond catégoriquement Alan. « Il semble que dans notre ADN, il y ait quelques idées que l'on rejette ou que l'on accepte, comme l'amour absolu ou le "tu ne tueras point". Je ne sais pas d'où viennent ces idées, mais il s'agit de vérités qui nous unissent tous. Certains ont voulu les appeler valeurs, même si je ne sais pas j'utiliserais ce mot parce que les religions l'ont beaucoup exploité, et nous savons maintenant ce qu'il en est de la double morale des religions...» Tout semble indiquer que la condition d'humain est quelque chose de personnel, que chacun comprend à sa manière. Pour lui, l'humain est « un être qui se cherche, qui ne sait pas qui il est mais qui en est conscient ». Pour se trouver soi-même, il est indispensable d'être ouvert à tout et surtout, de ne pas jouer. « Si je devais donner un conseil, sans vouloir moraliser, je dirais qu'il faut être ouvert et réceptif. Ne pas jouer peut s'avérer difficile. A moi, les Andes m'ont donné les outils pour vaincre cela, pour être plus ouvert. Alors qu'à l'évidence, chacun a tendance à jouer et ne pas le faire requiert un travail quotidien. »

« Il m'est arrivé la même chose qu'à Neo, le protagoniste de Matrix. À lui on lui demande s'il veut prendre une pilule qui lui rendra son état original, de léthargie, ou s'il veut se réveiller. Mon voyage fut celui-là : je ne voulais pas revenir à mon état original, je ne voulais pas revenir le même en Argentine, je voulais une transformation réelle », me dit-il. Je lui demande si ce qui lui arrive peut-être est qu'il souhaite vivre ainsi. « Non, je ne dis pas que c'est le mode de vie, je suis un citadin et je suis plongé dans ce monde, mais je me rends compte qu'il m'était nécessaire de voir une autre forme, un autre style, et que maintenant je peux apporter la montagne à la ville et essayer de maintenir l'esprit andin là où je vais et dans ce que je fais, de ne pas m'accrocher à aucun type de religion ou de spiritualité, de me maintenir ouvert à la connaissance, à discuter avec les gens et à continuer à chercher la vérité. »

Translated from Alan Stivelman, el hombre que se hizo 'humano' en la veintena