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Adieu MSN : la mère Michel a perdu son chat

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Default profile picture Pauline Baker

SociétéStyle de vie

Le 15 mars prochain, Windows Live Messenger « prendra sa retraite » pour laisser la place à son frère d'adoption estonien (exception faite de la Chine), Skype. Il y a parmi vous plus de 100 millions de détenteurs de comptes MSN qui auront un compte Skype et se connecteront à partir d'un « compte Microsoft ». Vive le premier réseau social !

Si, comme moi, vous êtes entrés dans l'adolescence juste après le passage au nouveau millénaire, ces trois petites lettres ne vous seront pas inconnues. Depuis son lancement en 1995, le « Microsoft Network » (MSN) a revêtu pour beaucoup de nombreuses significations. Son système de messagerie instantanée (le rival d'AOL) était peut-être ce qu’on qualifierait aujourd’hui de premier réseau social vraiment populaire, en ce qu'il permettait de faire migrer l'interaction sociale en ligne des forums et salons de discussion vers quelque chose que l'on pouvait faire en privé avec nos amis du monde réel. Depuis ses beaux jours ce service a progressivement perdu en popularité, d'autant que Google est devenu son grand rival. Il est passé par un changement d'image (se faisant rebaptiser « Windows Live » au bout de dix années d'existence) et l'ascension inexorable de Facebook ne lui a pas fait gagner plus d'utilisateurs (en 2009, MSN en comptait 330 millions). Toutefois Microsoft n'est pas resté sans rien faire. En 2011 ils ont racheté Skype, la boîte estonienne de services de voix sur IP, pour la coquette somme de 8,5 milliards de dollars.

La romance à l'ère de Hotmail

Bien sûr il ne s'agit pas de suggérer que notre bon vieil MSN Messenger va nous manquer, car c'est peu probable. Hotmail, son service e-mail, a déjà été remplacé sans grande pompe par Outlook. MSN faisait figure de pionnier à l’époque, mais l’Internet balaye tout sur son passage sans guère s’embarrasser de nostalgie. Aujourd'hui il est possible de discuter en ligne avec ses amis sans avoir à télécharger d'encombrants logiciels clients. D'ailleurs la plupart d'entre nous préfèrent désormais le faire sur leurs téléphones. Skype sera toujours une application VoIP (technique qui permet de communiquer par la voix, ndlr) fiable, mais la responsabilité de l'interaction sociale via messagerie instantanée est indéniablement endossée par d'autres. Microsoft a essayé de se rendre plus alléchant au fil des ans grâce à de nombreux liftings. MSN avait pourtant proposé un des premiers services d'appel vidéo à être presque pratique d'utilisation, mais en vain. Skype offre le même service que MSN, mais en moins compliqué. C'était inévitable.

Avant que MSN ne sombre dans l'oubli numérique, réfléchissons un instant à ses réussites. Pour beaucoup, MSN a marqué les premières étapes d'une transition vers plus de temps passé devant l'ordinateur plutôt que devant la télévision. Passer toute sa soirée en ligne devenait normal, et pas seulement pour les geeks. Quand vous verrez des jeunes taper une centaine de mots à la minute, demandez-leur où ils ont appris à le faire si rapidement. Il y a de grandes chances qu'ils vous disent que c'était en chattant sur Internet avec des copains. MSN était gratuit, relativement sécurisé, et presque tout le monde avait un compte. Et le meilleur dans tout ça, c'est que pendant que nous étions concentrés sur notre clavier à taper furieusement à la lumière de l'écran de l'ordinateur, nous donnions l'impression aux parents peu observateurs que nous étions en train de faire nos devoirs ! À une époque où la plupart des ados avaient de coûteux téléphones à carte prépayée et où l'on ne savait pas ce qu'était un texto gratuit, MSN était une manière de passer des heures à discuter sans frais chaque soir avec ses potes (que l'on avait vus quelques heures auparavant à l'école dans la plupart des cas). C'était le théâtre d'histoires d'amour, de désir, de haine, de trahison et de banalités. Si vous n'aviez pas de compte ou que vous ne pouviez pas vous y connecter, vous passiez à côté de tout.

Les langues

C'est au moment de l'apogée de MSN que je me suis rendu compte que les langues m'intéressaient. Chaque année au moment des vacances, le départ en caravane pour la France signifiait que j'allais rencontrer d'autres enfants de mon âge venant de toute l'Europe. La volonté de rester en contact après trois semaines passées à traîner ensemble sur un camping était forte. A l'école on nous avait attribué des correspondants français mais cela n'avait jamais vraiment marché. Une personne que nous n'avions jamais rencontrée à l'autre bout d'une adresse e-mail ne semblait jamais tout à fait réelle, comme s'il s'agissait d'un acteur payé par l'école pour améliorer nos notes de français. Même s'ils avaient tous notre âge, ils nous semblaient distants, déconnectés, froids. Ils auraient tout aussi bien pu être de Neptune plutôt que de Nîmes. Avec l'arrivée de MSN, tout cela a changé. Le fait de pouvoir discuter avec eux au lieu de simplement leur envoyer des e-mails faisait toute la différence. Plutôt que de parler de nos animaux de compagnie et de la météo dans des lettres guindées relues méticuleusement et écrites dans une prose digne de Dickens, on laissait tomber les formalités. Au lieu de cela on communiquait, on se racontait des potins, on échangeait des jurons, on flirtait ! Bien sûr, ils écoutaient une musique différente et trouvaient que Homer Simpson avait une drôle de voix quand il parlait en anglais, mais c'était des enfants dont les espoirs, les peurs, les problèmes et les aspirations étaient similaires aux nôtres. MSN en a fait des adolescents plutôt que des étrangers.

Au final, MSN a réussi là où tous mes professeurs ont échoué. Tout d'un coup, je commençais à faire attention à ma grammaire et ma syntaxe comme jamais auparavant. La contribution de MSN, c'est peut-être d'avoir été le premier vrai service à nous avoir permis de rester en contact en supprimant les facteurs distance et coût de l'équation. Aujourd'hui, je peux savoir ce que font mes amis français à l'université, je sais ce qu'a mangé pour le dîner une Allemande que j'avais rencontrée dans une boîte de nuit, et j'ai pu voir les nouveaux chatons de mon ancien colocataire italien. Alors que MSN est sur le point de disparaître, l'idée de fournir à tous et gratuitement un service de communication sociale en ligne s'est vraiment banalisée : cela a inspiré des concurrents, tels que AIM, WhatsApp et Google Talk. C'était un vrai pionnier, en ce qu'il permettait de favoriser la compréhension, d'abattre les barrières et les tabous et de rendre le monde un tout petit peu moins étranger. Tandis que la génération MSN grandit dans un monde qui est de plus en plus connecté, il faut espérer que ces relations et cette compréhension, forgées à distance dans l'obscurité, puissent un jour s'avérer utiles.

Photos : Une (cc) gonzalo_ar/ Gonzalo Saenz; Texte :  Video chat, le future (cc) Ryan Tir/ chatting du soir (cc) selva/ Eden Politteall site officiel/ toutes via flickr

Translated from Goodbye MSN, messenger of the nineties: you completed me