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Accouchement difficile pour la CPI

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Produit d’un laborieux consensus, la Cour Pénale Internationale (CPI) initiera le 27 juin prochain son premier procès contre le chef de guerre congolais Thomas Lubanga. Un procès déterminant pour asseoir sa légitimité.

Le 20 mars dernier, tout juste transféré de Kinshasa, Thomas Lubanga inaugure le banc des accusés de la CPI. Accusé par le procureur Luis Moreno Ocampo « d’avoir transformé des enfants de la RDC en machines de guerre », Lubanga s'est défendu : « je suis un politicien professionnel ». Le conflit en RDC de 1998 à 2002 a fait 60 000 morts et 600 000 déplacés et s’est étendu sur six Etats dans la région des Grands Lacs. Son instruction s’annonce tortueuse, mais le président de la CPI, le canadien Philippe Kirsch, est confiant : « la Cour a l'intention de mener les procédures les plus courtes possibles, dans le respect des règles ». Avec un objectif de dix-huit mois pour mener à terme les procès.

Une longue hibernation

Cinquante ans se sont écoulés entre la résolution de l'ONU du 9 décembre 1948, qui prévoyait la création d’une « cour criminelle internationale » et sa mise en application par l’adoption du Statut de Rome en juillet 1998. Aujourd’hui encore, la CPI peine à affirmer sa légitimité. On la critique pour ses ambitions universalistes et son manque de moyens. On lui reproche qu’un procès conduit à La Haye, jugeant de crimes commis à mille lieues, ne servira pas à apaiser les souffrances des populations sur place. C’est néanmoins pour cette même raison que la Cour Spéciale pour la Sierra-Léone envisage actuellement de délocaliser l’audition de l’ex-Président libérien Charles Taylor. Parce que la justice est plus sereine quand elle prend de la distance.

L’idée qui sous-tend le besoin de justice internationale est le refus de l’impunité pour les crimes les plus graves, portant atteinte à la communauté internationale. Depuis les procès de Nüremberg, on ne juge plus les Etats, mais les individus, ce qui a fait voler en éclat le mythe de la « responsabilité collective ». « De cette façon, » souligne Antonio Cassese, professeur de droit international à l’Université de Florence, « on évite de mettre d’un côté les bons et de l’autre les méchants. En ex-Yougoslavie, il y a des Serbes, des Croates et des Musulmans qui ont perpétré des crimes. La responsabilité et la punition individuelles permettent de passer outre la haine entre les différents groupes ».

Compétences encadrées

Malgré les pas de géants entrepris par les Tribunaux militaires internationaux de Nüremberg et de Tokyo en 1945-46, il faudra attendre la fin de la Guerre Froide pour relancer les discussions. La CPI a pu ainsi s’inspirer de l’expérience des tribunaux ad hoccréés pour juger des crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda, petits laboratoires de justice internationale. Mais la Cour, produit de consensus dont le caractère permanent a suscité la méfiance, se trouve dotée d’un Statut plus contraignant que celui de ces prédécesseurs. Elle ne peut juger des crimes commis avant le 1er août 2002, date de l’entrée en vigueur de son Statut et se trouve limitée à un rôle de complémentarité avec les juridictions nationales, tandis que les tribunaux ad hoc bénéficient du principe de primauté dans la hiérarchie du droit.

La CPI a compétence pour juger les violations du droit international les plus graves, les « cores crimes » : crimes contre l’humanité, génocide et crimes de guerre. Mais des zones d’ombres subsistent quant à la formulation de ses compétences. La définition du génocide – destruction intentionnelle d’un groupe en raison de sa nationalité, son ethnie, sa race ou sa religion – exclut notamment les persécutions pour des raisons politiques ou idéologiques. La porte reste cependant ouverte puisqu’une révision du Statut aura lieu en 2009, qui pourrait élargir les compétences de la CPI aux « treaty crimes » : terrorisme, trafics de stupéfiants, grand banditisme international.

Optimisme ?

La CPI rencontre un succès que peu avaient anticipé, notamment auprès des petits pays qui se sont bousculés pour ratifier le Statut : Sierra Leone, Colombie, Macédoine, Burundi. Aujourd’hui, la CPI compte cent Etats parties, soit près de la moitié des nations du globe. Mais les absents – Etats-Unis, Russie, Chine, Israël, Inde… – pèsent lourd. La CPI n’ayant compétence que pour les crimes commis sur les territoires de ses membres ou par leurs ressortissants, elle reste très limitée géographiquement. Un espoir toutefois : le Conseil de Sécurité des Nations-unies peut lui référer des situations extérieures à son territoire de compétence. C’est ainsi qu’en mars 2005, sous la pression des Etats-Unis pourtant non-signataires du Statut, on lui a confié le lourd dossier du Darfour alors que le Soudan n’est pas membre de la Cour.

La CPI souffre toutefois d’être une justice sans police ni bras armé, dépendant du bon vouloir des Etats dans la conduite de ses investigations. Dans les deux enquêtes menées en RDC et en Ouganda, la coopération de la Cour avec les pouvoirs locaux est critiquée car jugée contraire à l’impartialité de l’enquête. Selon Antoine Garapon, Secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice, la CPI devra « inventer un produit de synthèse qui n'existe pas encore : une marge de manœuvre entre l'application de la justice pénale internationale et des considérations de politique internationale, car les deux sont indissociables ».

Le succès de la CPI ne se mesurera pas seulement à l’aune des procès qu’elle mènera. Mais par son refus obstiné de l’impunité, elle devra jouer un rôle de dissuasion en amont, incitant les Etats à respecter les règles du droit international au sein de leur territoire avant de le faire appliquer à La Haye.