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A Pristina, l'art contemporain se cherche une voie

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Quentin Houillon-Bur

Culture

Le Kosovo déborde d'opportunités, avec 70% de sa population âgé de moins de trente ans. Musique, sorties et art ont été le quotidien des quatre jours que j'ai passés dans sa capitale, Pristina, trois ans après l'indépendance du pays. Reste une interrogation : pourquoi les artistes ne la jouent pas un peu plus collectif ?

Nous sommes le 17 février 2011 et le Kosovo a trois ans. La principale artère piétonne du centre-ville déborde de flâneurs. On se croirait dans un roman du XIXè siècle, dont les personnages se promènent pour voir et être vu. Au théâtre du haut de la rue, on peut assister à quelques spectacles sporadiques, tel qu'un ensemble folklorique d'enfants entamant des danses nationales en costumes traditionnels. Des groupes de percussionnistes vagabondent le long de la rue, entraînant les habitants de Pristina dans la danse.

Connexions contre frictions

Ici, les gens ont soif de culture et fréquentent sans compter des bars comme le Dit' e Nat', le premier café-librairie de la ville, dissimulé derrière la statue de Skanderberg, dans une petite allée à l'écart de la place principale. A l'instar du Kriterion à Sarajevo, ces initiés participent au festival international du film indépendant et des arts visuels « 4 Tuned Cities ». Une musique douce en fond sonore permet aux convives de parler tranquillement dans la langue de leur choix. Des livres sur l'art, la philosophie et les sciences sociales, en Albanais et en Anglais, habillent les murs. Solitaires, vous ne pourrez résister aux charmes du chat qui y réside ; j'ai pour ma part rendez-vous avec de jeunes artistes. Majlinda Hoxha a passé 11 années en exil : « Je suis très optimiste quant à la scène artistique ici. Elle est en train de naître », me livre-t-elle à peine arrivée.

Dans un pays né il y a trois ans et dont l'histoire récente est profondément traumatisante, la production artistique se cantonne pour l'instant aux grandes lignes. Mais je dois dire qu'en tenant compte de la situation politique, sociale et ethnique du Kosovo, je ne m'attendais pas à une telle absence de pratiques artistiques et culturelles engagées, même si Pristina offre quelques installations et spectacles intéressants. « Les jeunes gens et artistes ne veulent pas que leurs œuvres soient vues comme politiques », explique la photographe Majlinda Hoxha. Dans cette jeune nation, la politique est perçue comme quelque chose de mauvais, rappelant le conflit encore frais dans les mémoires. Une partie de la publication « Leap into the City », gérée par la Fondation Culturelle Allemande, est dédiée à l'état de la culture contemporaine à Pristina, dans laquelle Shkelzen Maliqi affirme que « les arts contemporains vus au travers de leurs contenus peuvent paraître très critiques et renvoie à l'actualité. En ce sens, l'art contemporain est très politique. » Si le philosophe et critique d'art kosovar a raison, alors pourquoi personne ne veut accepter ou admettre une telle détermination ?

Kosovo 2.0

Mejlinda Hoxha y voit un problème  de déconnexion. « C'est le résultat du manque d'analyses critiques et théoriques qui encourageraient de la communication entre les domaines artistiques, établirait une base commune et créerait plus de connexions », dit-elle. L'artiste contemporaine Anita Baraku créé surtout des installations et de l'art action, et a vu beaucoup de femmes artistes très actives. « Cette scène est en pleine éclosion, ajoute-t-elle, mais tout cela n'a jamais été ouvert à la discussion. La scène critique est très fragile ici; c'est pourquoi il est si dur d'y porter un regard analytique, de penser en système et donner une vision générale. Il n'y a aucune discussion publique depuis presque cinq ans ! » Le manque de connexion des acteurs de la scène de l'art visuelle provient en partie du manque de moyens financiers qui leurs offriraient plus de stabilité. Au lieu de créer du réseau, ils se tirent dans les pattes. Mais il y a de la lumière au bout du tunnel car la scène artistique est très inspirante et il y a beaucoup à faire.

Le Tingle Tangle bar situé au centre-ville est  tenu par les programmateurs de l'espace culturel Manipulative Space Tetris. Ce bar alternatif qui passe de la musique rock, à moitié éclairé avec des dessins naïfs sur le mur et une décoration très féminine pour vous rasséréner et insuffler une atmosphère intime. Ces nouveaux espaces, respirant l'énergie jeune et innovante, ont le potentiel d'encourager la coopération au sein de leur audience.

Fin de soirée à la fête de l'an 2010Les espaces physiques sont une chose ; reste le potentiel des créations virtuelles. « La jeunesse du Kosovo est extrêmement active, dit Eliska Slavikova, posée dans le bar. Ils sont beaucoup plus ouverts au monde des réseaux sociaux. » Kosovo 2.0 réunit un nombre assez réduit d'artistes et de militants, mais ils sont talentueux et éloquents. 

Au théâtre national du Kosovo le musicien bosnien Damir Imamović se représente avec des morceaux traditionnels de la région dans un concert co-organisé par le « Heartefact Fund » (HF) et assisté par les activistes de la « Youth Initiative for Human Rights » (« Initiative jeune pour les droits de l'homme »). La musique de Sevdalinka est caractérisée un ton mélancolique et un rythme modéré, exprimant en général une profonde tristesse. Imamović parle à moitié en anglais et à moitié dans la langue bosnio-serbo-croato-monténégrine que la majorité de l'audience comprend. Ce n'est pas sans importance ; dans les rues, et surtout hors de la capitale, il n'est pas recommandé de parler ces langues. Une précaution née de la tension ethnique. Le soulagement de cette pression permanente qui agite les subconscients disparaît dans l'ambiance, créant une atmosphère hilarante. ‘Le théâtre n'a pas été aussi rempli depuis des années,’ se réjouit une femme assise à côté de moi.

Dit’ e Nat’, Fazli Grajçevci, 5, Pristina 10000

Cet article fait partie d’Orient Express Reporter 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans les Balkans. Pour en savoir plus sur Orient Express Reporter.

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Translated from Aged three, Prishtina dances, designs but doesn’t debate