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« 50 000 mineurs livrés à eux-mêmes en Europe »

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Le problème des enfants des rues, originaires notamment d'Europe de l'Est, reste préoccupant.

« Il y a une ignorance généralisée de ce qu’est la souffrance d’un enfant », affirme Lorne Walters. Depuis 5 ans, ce chercheur indépendant spécialisé dans la maltraitance des enfants est aussi consultant pour diverses administrations en Belgique. Selon des chiffres du Haut Commissariat des Nations Unis aux réfugiés de l’ONU (UNHCR) en 2000, 50 000 mineurs seraient livrés à eux-mêmes dans toute l’Europe. La moitié de ces enfants errants serait originaire d’Europe orientale.

Qui sont les enfants mendiants dans les grandes agglomérations européennes ?

Ce sont majoritairement des enfants qui viennent des anciens pays de l’Est : l’Albanie, la Grèce, la Slovaquie, la Roumanie, la Russie. Ces pays avaient [avant la chute de l’ex-URSS en 1991] des structures sociales qui permettaient aux gens de manger et d’avoir un toit. Ils ont connu une dégradation fulgurante. Aujourd’hui, on vend, on vole, on abandonne des enfants qui sont ensuite happés par les filières mafieuses. La mendicité mais aussi la pédophilie, la pornographie, le trafic d’organes ou la prostitution sont des business juteux. Les enfants sont considérés comme des marchandises bon marché. La Roumanie risque de devenir une plaque tournante de ces réseaux.

Des facteurs économiques et sociaux sont donc à l’origine de ces réseaux ?

La pauvreté s’accompagne d’une criminalité spéciale, qui va au-delà de celle de la drogue et des armes. Il n’y a pas de cloisonnement entre ces différents trafics. C’est comme un compte en banque où l’argent coule dans un sens ou dans l’autre. Les trafiquants agissent comme des hommes d’affaire pragmatiques. Les foyers victimes de violences domestiques facilitent certes la traite des enfants : certains parents se débarrassent de leur frustration avec des cris et des coups. Parfois, cela peut aller jusqu’à la vente ou l’abandon de l’enfant.

Comment réagissent les gouvernements face à la situation de ces jeunes mendiants ?

Dans la plupart des pays d’Europe, il s’agit d’un phénomène clandestin. Comme les victimes, terrorisées, ne veulent pas parler, on assiste à une sorte de réflexe xénophobe. On dit «ces gens viennent d’ailleurs ; tant qu’ils restent dans leur coin, tout va bien ». Mais la législation européenne, par sa décision cadre du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains, oblige les pays membres à s’en préoccuper. En France, Nicolas Sarkozy, avec la loi sur la délinquance, veut interdire que des enfants de moins de six ans soient accompagnés d’adultes à mendier dans le métro. Et à sept ans, c’est toléré ? C’est une lacune législative grave.

Comment lutter contre la mendicité des enfants ?

Même s’il s’agit d’un problème politico-économique, nous ne disposons d'aucunes statistiques. Les personnes qui utilisent les enfants comme appâts sont à 90% des victimes elles-mêmes, contraintes et forcées par des tiers. Inciter à la mendicité avec un enfant, constitue en Belgique un délit avec facteur aggravant, passible de dix ans de prison. C’est de l’esclavage moderne. On ne sait même pas si les gens qui mendient sont les parents.

La solution, selon vous, c’est donc la répression ?

Personne ne souhaite utiliser la répression. Mais c’est la seule manière de sortir les gens des griffes de leurs persécuteurs. Selon un rapport 2006 de l'Unicef, entre 6 000 à 14 000 mineurs auraient été victimes de trafic en Albanie. Et ce phénomène s’aggrave partout. Or, il y a actuellement un vide juridique qui profite à la criminalité transnationale. On peut même spéculer sur les gens au pouvoir et se demander s’ils sont corrompus. Il y a une ignorance généralisée de ce qu’est la souffrance d’un enfant. Pourquoi créer des droits à deux vitesses ? Ceux de l’homme et de l’enfant. Il est temps de mener des enquêtes, d’informer le public et de dégager des fonds.

Les enfants invisibles du continent

L’Afrique et l’Asie sont depuis longtemps considérées comme des zones de grande pauvreté. Pour Zofia Dulska, attachée de presse du Comité national polonais de l’UNICEF, l'Europe aussi regorge de ces enfants invisibles.

Quelle est la situation des enfants en Europe ?

Certes incomparablement meilleure que dans les pays en voie de développement, la situation des enfants en Europe n’est pas parfaite même si le taux de mortalité avant cinq ans ou l’accès à l’éducation ont des pourcentages rassurants. Il existe des cas de violence avérée envers les jeunes, parfois même les tout petits. Ces situations sont découvertes subitement alors que personne n’avait jamais rien soupçonné. Dans certains pays, il existe de gros problèmes avec les minorités ethniques. Dans les communautés tsiganes notamment, l’accès à l’éducation est difficile, les filles ne sont pas envoyées à l’école et sont mariées très tôt. Mais on rencontre aussi des cas similaires au sein des minorités musulmanes d’Europe occidentale.

Y a-t-il un exemple de travail infantile qui n’est pas assimilable à de l’exploitation ?

Faire travailler les enfants n’est en aucune façon une mesure positive. Dans ses statistiques, l’UNICEF établit une distinction : sur 246 millions d’enfants qui travaillent, 171 millions effectuent des tâches néfastes pour leur santé et leur vie. Des données qui dépendent bien sûr de la culture locale, sachant qu’il y en a certaines où les enfants doivent participer aux tâches ménagères sans qu’il y ait de mal à cela. En revanche, partout où les tâches requises vont contre les droits des enfants ou qu’en raison de ces activités, ils n’ont pas moyen de s’instruire, voire s’ils sont vendus, cela va à l’encontre de la Convention des droits de l’enfant. Le travail des enfants n’est jamais positif mais chaque cas reste différent.

Propos recueillis par Natalia Sosin

Traduit par Cyril Marsaud