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Le huit mars, toutes en grève!

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Soixante ans après la signature du Traité de Rome, l'égalité salariale hommes - femmes n'est toujours pas acquise. Et si on profitait de la Journée Internationale des Femmes, le 8 mars 2017, pour reprendre le slogan "à travail égal, salaire égal" scandé par les ouvrières de la FN Herstal lors des grèves de 1966?

Le huit mars prochain, la planète entière célébrera comme chaque année la Journée Internationale des Femmes. Quel sens donner à cette commémoration dans un monde du travail en pleine mutation où les inégalités en matière d'emploi et de salaires entre hommes et femmes sont loin d'être résorbées? Le thème de l'édition 2017, « Les femmes dans un monde du travail en évolution : une planète 50 - 50 d'ici 2030 », invite en tout cas à la réflexion et surtout à l'action.

Huit mars 2017, 15h40. Le service de chirurgie de l'hôpital Brugmann résonne étrangement d'un silence inhabituel pour cette heure de la journée. Quelques minutes auparavant, infirmières et aides-soignantes se croisaient encore dans les couloirs, passant rapidement d'une chambre à l'autre, répondant au téléphone ou discutant fébrilement de la relève du soir. Et là, brutalement, plus rien. Un calme irréel seulement troublé par les appels insistants d'un anesthésiste pressé de mettre la main sur le dossier d'un patient et bientôt rejoint par un brancardier aide-soignant alerté par les cris du médecin. Il faut bien se rendre à l'évidence: le service s'est vidé de son personnel féminin. Interloqués, les deux hommes se dirigent vers la zone du bloc opératoire. Même constat: à l'exception de deux jeunes infirmiers stagiaires et d'un chirurgien, le bloc est désert. La sonnerie d'un téléphone retentit. Personne ne décroche. Un temps d'hésitation plus tard, le brancardier se décide à prendre le combiné. C'est Marc, un des préposés à l'accueil, qui s'étonne de ne pouvoir joindre le service. D'ailleurs, en bas, c'est le même topo, toutes les filles se sont arrêtées de travailler à 15h40 tapantes et ont quitté l'hôpital.  Mais quelle mouche a bien pu les piquer? 

Pas de panique, on nage en plein délire. Sauf que la réalité rejoint vite la fiction quand on sait qu'une fois passé 15h40, une majorité de femmes passent d'un travail rémunéré à un travail gratuit. Le constat n'est pas neuf, comme le rappelle le site internet français "8mars.info", à l'origine de l'action "15h40". Relayé par un collectif composé de syndicats, d'associations féministes, d'ONG et d'organisations de jeunesse, le message du site français vise à réveiller les consciences en appelant à une "grève mondiale des femmes", le 8 mars, date de la Journée Internationale des Femmes. Une heure, dix minutes, peu importe. L'essentiel est de montrer que sans les infirmières, employées, médecins, ouvrières, artisans ou professeurs, le monde ne tourne plus aussi rond. Surtout quand les rémunérations  ne sont pas à hauteur des prestations.  

Des disparités toujours aussi importantes en Europe 

En Belgique, à travail égal et sur une base horaire, les femmes touchent aujourd'hui en moyenne un salaire inférieur de 9% à celui des hommes. La différence grimpe rapidement à 22% sur une base annuelle. Cette différence s'explique par une autre forme de discrimination: Les hommes ont davantage accès à des temps plein alors que les femmes doivent souvent jongler avec plusieurs temps partiels pour pouvoir joindre les deux bouts. La problématique  ne se résume pas à la seule disparité salariale entre les genres. Ainsi en 2015, le taux d'emploi des femmes (64,3%) dans les états membres de l'Union Européenne restait sensiblement inférieur à celui des hommes (75,9%). Si l'écart est peu important dans les pays du Nord de l'UE (entre 2 et 4% en Suède, Finlande, Lituanie, Lettonie), il atteint des proportions énormes dans certains pays du Sud et de l'Est de l'UE (27,8% à Malte, 16 à 20% en Grèce, Italie ou République Tchèque). La Belgique se situe un peu en deçà de la moyenne européenne avec un écart de 8,3% entre le taux d'emploi des hommes et celui des femmes. Hors Union, le fossé se creuse encore davantage, comme en Turquie où la différence atteint 42,8%! D'ailleurs, les femmes de nationalité hors UE ont en général deux fois moins de chances de s'insérer dans le milieu du travail que les femmes belges et celles provenant des autres états membres de l’UE.  

Autre signal alarmant: selon la Commission Européenne, les femmes reçoivent en moyenne dans l'UE une pension de retraite inférieure de 39 % à celle des hommes!  

Une promesse vieille de 60 ans! 

En matière d'emploi, les femmes restent confrontées à de nombreuses injustices. Statuts précaires, temps partiel généralisé, postes peu valorisants, évolution de carrière compliquée, accès à l'entreprenariat difficile, harcèlement sexuel, la liste est longue. Avec pour corollaire un écart salarial qui ne se résorbe décidément pas. 

Dès 1957 pourtant, le Traité de Rome prévoyait de s'emparer sérieusement de la question. L'article 119 du traité CEE, devenu article 141 du traité CE, puis article 157 du TFUE, mentionnait déjà le principe de l'égalité de rémunération pour un même travail ou un travail de même valeur. Mais l'objectif était avant tout économique. Il s'agissait de lutter contre le "dumping des sexes", alors que certains états membres, comme la France, avaient inscrit l'égalité salariale hommes-femmes dans leur droit interne, contrairement à d'autres pays. La menace existait de voir une main d'œuvre féminine moins chère fausser les règles de concurrence. On était dans une logique de marché. Il aura fallu attendre le Traité d'Amsterdam de 1999 pour voir l'UE promouvoir l'égalité entre hommes et femmes et lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe (article 13, paragraphe 1, du traité CE, devenu article 19, paragraphe 1, du TFUE). Même si au final, le problème persiste. 

Volonté politique  

Il reste donc du chemin avant d'atteindre la "planète 50 – 50 d'ici 2030" préconisée par l'ONU. Face au manque de volonté d'un monde politique dominé par les hommes, les femmes ont toujours mené un combat d'avant-garde. On se souvient encore des ouvrières de la FN Herstal parties en grève en février 1966, après les réticences des patrons à combler l'écart avec les salaires des hommes.  

Mais ça ne suffit pas. Le slogan "à travail égal, salaire égal" scandé par les femmes de l'époque reste d'actualité. Les politiques doivent prendre le relais et s'assurer que le cadre juridique en matière d'égalité salariale soit appliqué en faisant notamment un gros effort sur la transparence. Et en rendant possible l'adéquation entre vie professionnelle et familiale. Les exemples de certains pays nordiques sont à cet égard très instructifs. On ferait bien de s'en inspirer.

Sinon, le 8 mars risque de devenir une journée compliquée pour bien des hommes...